Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis le début de son règne. l’intention manifeste d’Abbas II a été de se poser en patriote égyptien : mais force m’a été bientôt de constater que le nouveau Khédive s’intéressait fort peu à tous les sujets qui concernaient réellement la prospérité de la population égyptienne ; que ses ébullitions de patriotisme se trouvaient, en général, réservées aux seules occasions où il pouvait se plaindre de quelque manquement, plus ou moins imaginaire, à sa propre dignité ; que son tempérament personnel était capricieux et égoïste ; qu’il tendait invariablement à se montrer injuste dans l’exercice de ses prérogatives ; et que, en un mot, le souci de son bien-être et de ses privilèges, — dont le moindre détail lui tenait très au cœur, — dépassait infiniment chez lui la préoccupation du bonheur de ses sujets. Jamais, pendant tout le temps de mes rapports avec lui, je ne l’ai vu s’émouvoir si peu que ce fût d’aucun des grands problèmes de l’administration intérieure de l’Égypte : et si toujours, au contraire, je l’ai vu se mêler ardemment de la nomination des moindres fonctionnaires, c’est chose certaine que cette ardeur qu’il apportait à ses choix lui était exclusivement suggérée par la recherche de ses intérêts particuliers.

Cela étant, j’ai compris le danger qu’il y avait à tolérer, déguisée sous le nom toujours sympathique de patriotisme, la réintroduction en Égypte d’un système de gouvernement personnel semblable à celui que nous avions eu déjà trop de peine à déraciner. L’admiration professée par le jeune Khédive pour la mémoire de son despotique aïeul Ismaïl pacha, et pareillement le mépris qu’il ne cherchait même pas à cacher pour le souvenir de son père, coupable à ses yeux d’avoir attaché trop d’importance à ses engagemens solennels envers nous, tout cela contribuait encore à me faire craindre que ce soi-disant patriotisme, complaisamment étalé devant le monde, ne fût rien qu’une contrefaçon de mauvais aloi.


Le passage qu’on vient de lire est extrait des premiers chapitres du livre nouveau de lord Cromer, — dont l’auteur nous apprend qu’il les avait écrits avant la déchéance du Khédive, et à une date où des scrupules bien compréhensibles lui interdisaient de donner au portrait de son personnage un relief trop saillant : mais ces scrupules ont dorénavant perdu beaucoup de leur portée de naguère, et c’est d’une touche sensiblement plus libre que l’homme d’État anglais, dans une manière d’appendice, a remis au point son image du khédive Abbas. Non pas qu’il se refuse, maintenant encore, à reconnaître les qualités personnelles du souverain déchu. Il nous cite même, — en nous le représentant, il est vrai, comme une anomalie à peine croyable de la part d’un caractère tel que celui-là, — un trait qui semblerait attester, chez l’ex-Khédive, un cœur foncièrement capable d’aspirations généreuses : il rapporte que récemment Abbas II, ayant su que le successeur de lord Cromer, sir Eldon Gorst, se trouvait en danger de mort est venu tout exprès à Londres pour lui témoigner sa fidèle affection. Avec cela, une intelligence manifestement très supérieure à celle de