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l’Anglais n’en demeure pas moins pour continuer à veiller sur mes intérêts ; et tout le monde se trouve pleinement satisfait. »

Il n’y avait pas jusqu’au Khédive lui-même qui, par l’effet d’un « paradoxe psychologique possible seulement dans une âme d’Oriental, » n’alliât à sa haine croissante des soldats anglais une crainte secrète de les voir s’en aller. La haine qu’il éprouvait pour eux tenait d’ailleurs surtout, si nous en croyons lord Cromer, à une foule de petits griefs de vanité froissée. Par exemple, il gardait sur le cœur de « n’avoir pas été salué par un certain officier anglais qui, ayant le dos tourné, ne s’était pas douté de sa présence. » Il ne pouvait pas oublier « qu’un autre officier anglais au service de l’Egypte était venu à l’une de ses réceptions avec ses bottes, tandis qu’il aurait dû y venir en souliers vernis ; qu’un dragon anglais, qui six mois auparavant s’occupait à sarcler des pommes de terre dans le comté de Somerset, et qui peut-être ne connaissait même pas l’existence du Khédive, ne s’était pas levé de son banc, sur le quai d’une gare, lorsqu’y était passé le train khédivial ; que le Sirdar Kitchener s’était refusé à renvoyer d’office tels ou tels officiers indigènes qui n’avaient commis aucune offense, mais que, lui-même, le Khédive aurait voulu casser sans aucune forme de jugement ; et que ces divers incidens, ainsi que maints autres semblables, attestaient clairement l’existence d’un plan délibéré pour humilier et dégrader le souverain légitime du pays. » Mais il suffisait à lord Cromer de faire la moindre allusion à un retrait possible des troupes anglaises pour obtenir aussitôt du jeune Abbas toutes les excuses qu’il pouvait désirer.

C’est ce que nous a montré déjà un épisode cité précédemment ; et la même conclusion se dégage aussi, pour nous, de l’exposé de la plus mémorable des susdites querelles, proprement « politiques, » du diplomate anglais et du prince égyptien. La chose se passait en janvier 1894. Profitant d’une absence de lord Cromer, Abbas II avait remonté le Nil en compagnie de son favori d’alors, Maher pacha, qu’il venait de nommer vice-ministre de la Guerre, et qui, du reste, n’allait point tarder à refréner sensiblement l’ardeur de son « anglophobie. » Tout le long de son voyage, le prince avait témoigné une hostilité méprisante à l’égard des officiers anglais ; et il avait même fini par insulter presque ouvertement le général Kitchener, qui, aussitôt, avait télégraphié une plainte formelle à lord Cromer. Il sied d’ajouter que le Khédive et son entourage se croyaient naïvement, à cette date, délivrés de toute obligation de déférence à l’égard des représentans de l’autorité anglaise, parce qu’ils avaient appris la chute du Cabinet de lord