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J’ai dit déjà combien est élastique le sens de ces mots « politique mondiale. » Ils signifiaient pour les Allemands les plus pacifiques une politique d’expansion coloniale. Mais la création d’une grande flotte de guerre leur donnait une portée plus menaçante : politique d’intervention dans les différentes parties du monde, d’expropriations et de conquêtes lointaines, sans reculer devant des rencontres sanglantes inévitables dans les eaux européennes. On peut dater de l’arrivée au pouvoir du prince de Bülow et de l’amiral de Tirpitz, c’est-à-dire de l’année 1897, ces premières aspirations dominatrices qui prenaient corps dans la construction rapide d’une force navale formidable et dont la guerre de 1914 a été l’aboutissement fatal.

Une quinzaine d’années ont suffi à Tirpitz pour faire de la marine allemande la seconde du monde. Il a procédé en plusieurs étapes, par bonds successifs. Le projet de loi, introduit le 27 novembre 1897, demandait la mise en chantier de sept nouveaux vaisseaux de ligne, de deux grands et de sept petits croiseurs, et fixait à la fin de l’année financière 1904 l’achèvement de ces unités. Tout en limitant la période de l’utilisation des navires et en déterminant le nombre et la force des escadres qui devaient rester en service permanent, le projet assurait la construction dans un temps donné des unités qui remplaceraient les vaisseaux déclassés. Dans l’automne de 1899, la saisie d’un paquebot allemand par un bateau de guerre anglais, pendant la guerre sud-africaine, et l’émotion que cet incident souleva en Allemagne furent exploitées avec maestria par Tirpitz pour la présentation d’une nouvelle loi navale. L’enthousiasme patriotique de la nation la fit passer triomphalement à travers tous les écueils budgétaires. L’exposé des motifs réclamait la création d’une flotte assez forte pour qu’une lutte avec la plus grande Puissance maritime du monde fît courir à cette Puissance des risques qui mettraient en question sa supériorité. C’était viser clairement la Grande-Bretagne. En 1906, après la déception causée en Allemagne par la Conférence d’Algésiras, le Reichstag, habilement préparé par l’amiral et poussé par le sentiment national, adopta la loi navale supplémentaire qui augmentait le nombre des croiseurs et donnait aux navires de combat les dimensions des Dreadnoughts anglais. Les deux premiers Dreadnoughts allemands, le Nassau et le Westfalen, mis