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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/640

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Mais, devenu roi, il s’abstiendra de crier, pour si peu, vers le ciel. Le ciel !

« Eh ! croyez-vous, monsieur, de bonne foi, qu’il se mêle des querelles, des débats, des carnages qu’ont faits et que font des polissons comme nous ? Croyez-vous que, me promenant dans mon jardin de Sans-Souci, et foulant aux pieds une fourmilière, je pense seulement qu’il y ait précisément dans mon chemin de petits êtres qui s’agitent et se tracassent ? Ne seraient-ils pas ridicules, ces animaux, de penser, — si, au reste, ils sont doués de la pensée, — que je sais qu’ils existent et que je dois tenir quelque compte de leur existence ? Non, mon ami, défaites-vous de cet amour-propre qui vous abuse, en vous présentant le ciel sans cesse occupé à votre conservation, et mettez-vous bien dans la tête que la nature ne s’embarrasse pas des individus, mais de l’espèce : celle-ci ne doit pas périr. Que répondre à tout cela ? Qu’un roi peut très bien ignorer qu’en marchant il foule à ses pieds une fourmilière qui se rencontre sur son chemin ; qu’occupé de grandes affaires qui demandent toute son attention, et que souvent il ne peut toutes surveiller, il ne pense point à des fourmis et s’il en existe dans ses jardins et dans ses parcs. »

Voilà le fond, la substance, qui est politique et action ; le reste seulement est littérature. Est-il défendu de penser qu’ici la littérature même est de la politique ? Quand Frédéric, pour couvrir d’anathèmes Marie-Thérèse, parodie le passage célèbre d’Athalie :


Daigne, daigne, mon Dieu, sur Kaunitz et sur elle…


quand, au milieu de ses troupes et dans le fracas du canon, il prend chaque jour une heure pour jouer de la flûte, composer, lire, apprendre par cœur des morceaux, les réciter, rimailler, écrire des choses inutiles comme « l’oraison funèbre de Mathieu Rheinart, maître cordonnier, » ou des choses auxquelles il se pique de ne pas croire, comme « le sermon sur le Jugement dernier, » n’est-ce pas une façon de s’enfermer en lui-même et de réfléchir, loin des hommes et des événemens ou des accidens importuns, ne cherche-t-il point, par-delà de puériles distractions, une sorte de solitude inspiratrice ? Autrement, toute cette dépense de littérature hors de saison ne serait qu’un médiocre cabotinage, — le mot revient nécessairement. Mais,