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suivant lui, conduire à une patrie allemande unifiée. Il n’avait pas vu sans douleur le roi Frédéric-Guillaume IV se promener, le 21 mars 1848, dans les rues de Berlin avec la cocarde tricolore de la Barsenschaft et se mettre à la tête des insurgés. Aussi, lorsque, plus tard, le monarque le fit appeler à Sans-Souci, Bismarck ne lui cacha pas ses regrets ; il s’exprima même avec une telle vivacité que la Reine l’en blâma, « Ce n’est pas avec des reproches, ajouta le Roi, que vous pouvez rétablir un trône effondré… J’ai besoin d’appui et non de critiques ! »

Alors Bismarck, radouci, conseilla à Frédéric-Guillaume de rétablir vigoureusement l’ordre menacé et d’agir sans avoir la moindre crainte des novateurs et des émeutiers. Le 3 avril 1849, cédant à ses avis, le Roi refusa la couronne impériale que lui offrait le Parlement de Francfort, car il y voyait une offre plus révolutionnaire que dynastique.

Envoyé à la Diète de Francfort, Bismarck, qui n’avait voulu transiger en rien avec les républicains ou démocrates, défendit énergiquement la prépondérance et les droits de la Prusse. Ses interventions fréquentes attirèrent l’attention du pays sur lui. Il semblait déjà mûr pour le pouvoir et il osa dire au Roi : « J’ai le courage d’obéir, si Votre Majesté a le courage de commander. » On lui avait adjoint le général de Rochow comme un maître et un mentor. Il s’en débarrassa bientôt et montra qu’il n’avait besoin de personne pour prendre les plus audacieuses initiatives et s’imposer à tous. Il savait déjà se faire craindre et la devise, qu’on a attribuée si souvent à d’autres, était bien la sienne : « Oderint, dum metuant ! »

Devenu le conseiller intime du Roi, à la grande jalousie de Manteuffel, il regrette l’inertie de la Prusse pendant la guerre de Crimée et laisse entendre que si Frédéric-Guillaume était intervenu, il serait devenu le maître de la situation. Mais son maître est moins audacieux et ne se soucie pas de risquer « des aventures à la Napoléon. » Le jeune conseiller est encore dans toute l’ardeur de l’âge et « vomit de la bile » en constatant la situation amoindrie de la Prusse. Il ne peut admettre qu’elle soit le porte-queue de l’Autriche et il rougit d’être forcé de devoir à l’Empereur des Français l’entrée du ministre prussien au Congrès de Paris. Il aspire à du nouveau et à du hardi.

Il raille les vieilles perruques et les procédés vieillots de l’Administration. La politique de sentiment lui parait ridicule.