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grandes questions en suspens ; c’est par le fer et par le sang. » Il avait dit, en 1849, à la tribune de la Chambre, dans le débat sur l’amnistie : « Ferro et igne. » Maintenant, il accentue son dire : « Ferro et sanguine. » N’est-ce pas aujourd’hui même la devise effrayante de l’Allemagne ?… On s’en émeut autour de lui. On le dénonce au Roi comme un bourreau. Bismarck va droit au souverain, qui lui dit : « Vous savez comment tout cela finira ?… On vous coupera la tête à vous et un peu plus tard à moi. — Sire, il faut mourir tôt ou tard. Peut-on mourir d’une manière plus digne ? » Et, emporté par une émotion et une conviction sincères, il fit valoir avec tant d’éloquence les droits supérieurs de la royauté que le Roi revint de son trouble et le maintint au pouvoir. Dès lors, Bismarck fut sûr de vaincre l’opposition. « Vous attendez des concessions de la Couronne ? dit-il aux députés. Nous les attendons de votre part ! » La Chambre rejette le budget. Soit. Mais l’État existe toujours, et la nécessité sera son seul guide. Bismarck mit alors dans ses déclarations une telle hauteur, un tel mépris des formes parlementaires, que le comte de Schwerin l’accusa d’avoir dit que sa politique reposait sur la maxime : « La force prime le droit. » Bismarck se défendit toujours d’avoir cité ce proverbe, car c’est un proverbe allemand ainsi conçu : « Gewalt geht vor (ou uber) Recht. » Le comte de Schwerin avait employé le mot Macht, moins énergique ; en effet, ce mot veut dire « autorité, pouvoir » et par analogie « force, » et le mot Gewalt est bien plus expressif. Quoi qu’il en soit, l’expression de Schwerin peint nettement la politique violente, autoritaire, absolue de Bismarck, et, si le proverbe est resté comme un aphorisme sorti de sa bouche, nul ne s’en est étonné. Sa personne elle-même incarnait cette prédominance de la force. Sa stature colossale, sa tête de dogue, ses yeux perçans, ses membres puissans, son opiniâtreté et sa résistance, sa décision et sa volonté dominatrices, son ironie pesante et cruelle, tout dénotait en lui la force physique, la force brutale, la force implacable et du corps et de l’esprit. Si exagérée, si immense qu’elle soit, la statue qu’on lui a élevée à Hambourg est cependant celle qui donne l’impression symbolique la plus fidèle de ce que devait être, de ce qu’était ce « surhomme. »

Bismarck est Prussien dans toute la rigueur et toute la réalité de la race. On lui reproche ses termes durs et violens.