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Bismarck arriva ainsi à mettre la Russie en échec dans les Balkans, à apaiser les rancunes de l’Autriche en secondant ses vues orientales, à flatter la France en la poussant politiquement vers la Tunisie. C’était là un succès, mais qui eut bientôt sa contre-partie. La presse russe, irritée contre une politique qui avait sauvé la Turquie, avantagé l’Autriche et réduit la plupart des avantages du traité de San-Stefano, attaqua Bismarck avec fureur. Il s’en moqua en disant bien haut : « Que m’importent les Slaves ? Ils se repaissent d’apparences. Ils croient tout ce qu’il leur plaît de croire ! » Mais l’empereur Alexandre était moins crédule qu’on ne le pensait à Berlin. Il se plaignit vivement à l’empereur Guillaume et laissa entendre qu’il se souviendrait. La neutralité russe, si utile à l’Allemagne en 1864, en 1866, en 1870, avait été un jeu de dupes.

Il ne faudrait pas croire que la politique de Bismarck ait été du goût de tout le monde en Allemagne. Le Kronprinz ne la comprenait pas et le disait ouvertement. Certains partis à la Cour intriguaient contre le chancelier. Celui-ci offrait alors sa démission, comptant bien qu’on ne l’accepterait pas et il se retirait à Varzin pour éviter un orage passager.


Mais d’autres difficultés que celles qui venaient des intrigans de la haute société se dressaient sous les pas de Bismarck. Le parti socialiste, de 113 000 voix, était arrivé à 437 000 et sa progression semblait ne pas devoir s’arrêter. Toutefois, le chancelier n’était pas homme à trembler devant ce parti, et la majorité du Reichstag lui accorda les lois répressives qu’il désirait. Mais il ne se contentait pas d’avoir les armes indispensables à la répression des troubles et des émeutes, il essayait aussi de détourner la masse ouvrière de chefs compromettans et de dangereux agitateurs. Il proposait des réformes utiles, des institutions sages, des créations opportunes. Protéger le travailleur contre les accidens survenus au cours de sa profession, former des assurances contre la vieillesse et la maladie et faire bien comprendre que le gouvernement impérial accorderait ces avantages plus facilement qu’un régime démocratique, tel était son but. Quoiqu’il se laissât appeler « le père nourricier des socialistes, » il n’entendait nullement en favoriser les développemens. Cependant, à sa mort, les socialistes étaient arrivés à