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en parlant quelquefois très haut, nous ne pouvons que réserver notre opinion aussi longtemps qu’ils réservent leur action, et les laisser à leurs méditations profondes et à leurs calculs subtils. Mais, en attendant, laissons aussi en repos les questions de demain et contentons-nous de vivre dans le présent. Les préoccupations qu’il nous cause suffisent à notre activité d’esprit. Quand le moment sera venu, quand nous serons à Constantinople, quand nous aurons chassé de France et de Belgique les hordes teutonnes et que nous les aurons poursuivies sur leur territoire, alors, débarrassés enfin du souci qui absorbe nos pensées, nous nous demanderons avec une plus grande liberté d’esprit ce qu’il conviendra de faire de l’Europe et de l’Asie pour que le droit succède à la force et la justice à l’iniquité.

Parmi les pays neutres qui n’ont pas encore pris un parti, cherchent à se rendre compte, se consultent eux-mêmes et hésitent, le plus considérable est l’Italie : c’est aussi celui qui, comme voisin immédiat, nous intéresse le plus. Nous n’entendons pas dire par-là que sa résolution finale nous importe plus spécialement. Nous savons grand gré à l’Italie de la rapidité et de la netteté avec lesquelles, dès le début de la guerre, elle s’est déclarée neutre et a retiré les troupes qu’elle avait sur notre frontière ; mais nous ne lui avons rien demandé alors et nous n’avons rien à lui demander depuis. Elle a pris spontanément ses résolutions premières, elle ne prendra pas moins spontanément ses résolutions dernières : nos propres vues sont indépendantes des siennes et nous n’avons aucune prétention à influer sur elles. Mais enfin, c’est l’Italie ; son histoire et la nôtre ont été si souvent confondues, son sang et le nôtre ont été si souvent mêlés, sa civilisation et la nôtre sont si évidemment de même famille, que nous ne saurions jamais éprouver à son égard le froid sentiment de l’indifférence. Elle couvre son jeu, ce qui est son droit, et nous n’avons garde d’essayer de le deviner, ce qui serait indiscret ; mais comment ne serions-nous pas vivement intrigués, — que l’Italie nous passe le mot. — en voyant se produire, se dérouler au grand jour les efforts de grosse séduction dont elle est l’objet de la part de l’Allemagne ? Nous n’avons pas tout vu, tant s’en faut ! Mais nous en avons vu assez pour comprendre à quel pressant assaut l’Italie est-on butte. Y résistera-t-elle ? Pour le moment, nul n’en sait rien.

Quand il connaîtra dans ses détails la mission que le prince de Bülow remplit encore en ce moment à Home, l’historien futur prendra certainement grand plaisir à raconter cet épisode diplomatique : mais en saura-t-il jamais tout le mystère et combien de secrets ne