Serviteurs ! Debout l’un après l’autre ! Faites que ma pensée hardie se réalise glorieusement. Allons ! tous à la pelle, à la bêche, à l’ouvrage !… Que l’œuvre la plus grande qui soit au monde s’accomplisse ! Un esprit suffit pour diriger mille bras. » Ainsi délire, dans sa mégalomanie insatiable, ce moribond, dont on creuse déjà la fosse.
Les fossoyeurs sont là, tout près de l’aveugle, qui entend les coups sourds de leurs pioches, mais qui les prend pour les pionniers de son grand œuvre. Dans sa pensée qui s’égare de plus en plus, c’est comme un mirage édénique. Éperdu d’orgueil, Faust salue, en phrases prophétiques, le monde nouveau qui va sortir de ses mains : « J’ouvre des espaces à des myriades d’êtres, pour qu’ils y viennent habiter, non dans la sécurité sans doute, mais dans la libre activité de l’existence. Partout, des campagnes vertes et fécondes ! L’homme et les troupeaux, à l’aise sur le nouveau sol, s’installent le long des collines, où se rue une population hardie, industrieuse. Ici, à l’intérieur, c’est un paradis. Qu’à l’extérieur le flot tempête jusqu’au bord ! S’il lui prend fantaisie d’abattre avec violence, de toutes parts la foule se presse pour fermer la brèche. Oui, je me sens voué tout entier à cette idée, fin dernière de toute sagesse… Dans le pressentiment d’une telle félicité sublime, je goûte maintenant l’heure ineffable. »
Ebloui par son œuvre, Faust, pour la première fois de sa vie, vient de se déclarer satisfait. Ce qu’il a entrepris de réaliser est « la fin de toute sagesse. » au-delà de cet idéal, il n’y a plus à rêver, il n’y a plus de raison d’agir. Du moment qu’il se repose, même seulement en pensée, Faust va mourir. Les Lémures sont derrière lui, prêtes à le coucher dans sa tombe. Méphistophélès triomphe à son tour : « Celui qui me résista si vaillamment, le temps l’emporte. Le vieillard gît là sur le sable, — l’horloge s’arrête. »
Mais un personnage de sa sorte ne peut sortir du monde sans un déploiement de pompes protocolaires dignes de son rang. Pour célébrer sa rentrée dans le grand Tout, un nombreux personnel de figurans mystico-naturalistes est convoqué par le poète. Ce n’est pas en plein ciel, c’est dans une solitude terrestre, au milieu des ravins, des rochers et des bois, que se déroule l’apothéose de celui qui a rendu aux hommes le sens de la Terre. Tandis que Dante, le pèlerin du Paradis, ne s’arrête que