Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était malade et plus pâle encore qu’à l’ordinaire ; le jeune secrétaire d’ambassade lui trouve « une allure de spectre. »

Après la musique, on valse dans la salle à manger, galerie longue ornée de sculptures en stuc et de peintures pompéiennes, dans laquelle on pousse le piano. Les « lions » valsent avec fureur ; il y a là Musset, Ferdinand de Lasteyrie, d’Alton-Shée, Gontaut-Biron. La princesse avec ses sœurs et une jeune Transteverine, Eleuteria, parente du patriote Celesto Menotti qu’elle a adoptée, reçoit. De temps en temps, elle passe en tourbillonnant. Mais après minuit, quelques amis restent encore auprès d’elle pour causer. La marquise Bedmar, princesse moldave, dont on a dit « elle a l’âge d’un roman de Balzac et l’aura toujours, » l’abbé Lanci, Heine, Scheffer. La princesse, couronnée de fuchsias, fume un long narghilé, et entre chaque bouffée elle puise avec une petite pince d’argent dans une coupe de vermeil où elle cueille de fins morceaux d’orange…


Voici un sonnet inédit écrit pour elle en 1836. Il m’a été communiqué par M. Henry Prior, érudit très versé dans notre romantisme.


Sonnet d’un républicain farouche à Madame la princesse de B

A Madame la princesse de B…

Mai 1836.

Voyez ces habitans de la molle Italie,
Que de Winterhalter nous traça le pinceau
Dans son Decameron : quel magique tableau !
Que la nature est là vaporeuse, embellie !

Entendre Rubini. Thalberg, Damoreau,
Ou le cor de Gallay qui tour à tour s’allie
Aux chants d’amour, de guerre ou de mélancolie,
C’est connaître des arts ce qu’ils ont de plus beau.

Mais il est une chose et plus douce et plus belle,
Et qui n’a point encor trouvé de cœur rebelle,
Charme indéfinissable on te résiste en vain !

Cette toute-puissance inconcevable, étrange,
Et qui semble à mes yeux faire apparaître un ange,
C’est de Belgiojoso le sourire divin !


On ne peut nier qu’elle faisait des enthousiastes. Henri Heine, qui l’avait connue chez La Fayette, était des plus assidus