Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/851

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une épargne suffisante pour s’assurer le pain de leurs vieux jours. Ces considérations renferment une grande part de vérité, à l’égard des familles nombreuses ; elles ne sont nullement fondées pour les ouvriers qui n’ont pas élevé d’enfans.

Personne n’admet plus aujourd’hui la fameuse théorie du salaire nécessaire, la prétendue loi d’airain, qui ramènerait inévitablement à la somme indispensable pour subsister dans la misère le salaire de la famille ouvrière. Cette loi, théoriquement fondée sur des raisonnemens incomplets, est démentie chaque jour par la hausse des salaires, dépassant énormément celle du coût de la vie depuis trois quarts de siècle. Elle contient cependant une petite part de vérité, si on la ramène à cette idée simple, qu’il y a toujours et partout un lien étroit entre les habitudes de dépenses et les ressources de la population ; seulement, ce sont les habitudes qui se règlent d’après les ressources. Ce que l’on considère comme le nécessaire, dans chaque milieu, ce sont les conditions d’existence que le salaire moyen permet à la famille de composition moyenne de réaliser. Le salaire moyen dépasse donc toujours, pour l’homme qui vit seul, la somme nécessaire pour satisfaire à ses besoins, tels qu’ils résultent des habitudes de son milieu, puisque ce salaire correspond aux conditions générales d’existence qu’une famille de composition moyenne réalise, avec le gain de son chef. Grossi par le salaire d’une femme qu’aucun enfant ne retient au logis, il dépasse les besoins du ménage stérile. Les travailleurs qui, dans de telles situations, ne réalisent aucune épargne pour les momens difficiles et pour la vieillesse, ne méritent nullement que l’ensemble des impôts, pesant directement ou indirectement sur toute la population, soit grossi, afin que l’Etat leur donne la possibilité de dépenser en totalité, à leur seul profit, un salaire sur lequel rien n’est prélevé pour des enfans, en se chargeant de parer plus tard aux conséquences de leur imprévoyance.

Sans doute, il y a des infirmes et des ouvriers souvent malades, d’autres qui ont eu longtemps à leur charge des parens âgés ou des collatéraux, d’autres encore qui ont été victimes de malheurs ou d’imprudences. A tous ceux-là, des secours peuvent être nécessaires, même s’ils n’ont pas élevé d’enfans, et ne doivent pas être refusés, même s’ils ne les ont guère mérités. C’est pour ces cas, impossibles à définir légalement, qu’est faite l’assistance accordée sans conditions