Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dents des engins les plus meurtriers, exaltés depuis leur enfance dans leurs sentimens les plus élevés comme dans leurs instincts les plus bas contre l’ennemie héréditaire ? Contre un adversaire ainsi muni, la vaillance, la générosité, l’idéalisme ne sont pas des armes suffisantes. Il y faut la force. La France aurait-elle la force ? Elle n’avait pas le nombre ; son armement présentait d’assez graves lacunes ; elle n’était pas rompue au genre de guerre qu’on allait lui faire. Heureusement, elle avait pour elle un admirable canon de campagne, un haut commandement à l’origine un peu mêlé, mais qui pouvait aisément devenir de tout premier ordre, enfin une armée qui avait la foi, — la foi dans ses destinées et dans les infinies ressources du génie français. Mais enfin, tout cela suffirait-il ? Nos amis étaient inquiets : M. Ferrero, M. Seippel, l’auteur anonyme de l’article du Times nous l’ont avoué depuis. Par sa taille, par sa brutalité, par sa pesante armure, le colosse germanique les effrayait justement, pour nous. C’était le combat de David et de Goliath. Qui allait l’emporter ? « Le monde retenait sa respiration. » Par l’importance des questions soulevées, par l’énormité des forces engagées, jamais lutte plus grandiose et plus terrible n’avait passionné l’humanité tout entière.

Après quelques premières passes heureuses, il arriva que David plia sous son formidable adversaire. Ce fut la bataille de Charleroi. L’anxiété redoubla dans le monde. Serions-nous capables de nous relever de cet échec ? L’ennemi exultait. Il trouvait dans son triomphe la justification de ses crimes. On ne lui avait donc pas menti. Il allait fouler cette terre promise dont ses chefs lui avaient vanté la richesse. Quelques jours encore, et il serait dans ce Paris dont sa grossière imagination rêvait depuis l’enfance, et dont on avait promis le pillage à sa convoitise. Quelques jours encore, et l’Empereur entrerait dans la cité superbe qui avait toujours repoussé ses avances, et dont il avait juré l’humiliation et la perte. L’attaque brusquée dont on nous avait si souvent menacés semblait sur le point d’aboutir.

C’est alors qu’un grand chef se révéla parmi nous. Le généralissime des armées françaises n’était guère jusqu’alors connu que de ses pairs qui appréciaient à leur vraie valeur sa compétence, sa vigueur, son prodigieux sang-froid. Avec une admirable lucidité, il vit la situation telle qu’elle était, et sut prendre les dures décisions nécessaires. Il comprit que ce qu’il fallait sauver