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défendre contre l’envahisseur, avec le sol natal, la pérennité du génie français, avait un autre idéal que cette autre armée qui combattait pour « l’honneur » sans doute, mais aussi, mais surtout « pour le bien-être » de l’Allemagne, — ce sont les termes mêmes de l’ordre du jour allemand ; — elle n’avait pas sur la conscience, cette armée française, tous les crimes de droit commun qui seront, devant l’histoire, la honte éternelle de l’armée allemande ; disons le mot : elle avait une moralité supérieure. Et c’est pourquoi elle méritait de vaincre : Et c’est pourquoi elle a vaincu. Qui donc a dit, — n’est-ce pas le général Nogi ? — ce mot profond que, dans toute bataille, la victoire est à celui qui sait souffrir un quart d’heure de plus que l’adversaire ? Ce mot, on dirait que les vainqueurs de la Marne en avaient fait leur devise, et qu’ils ont voulu en fournir une illustration éclatante. Au moment où les Maunoury, les Foch, les Dubail, décimés, épuisés, assaillis de toutes parts par des forces supérieures, auraient pu perdre courage, ils ont persévéré dans leur volonté d’offensive, ils ont accepté, eux et leurs soldats, de souffrir encore ; et c’est alors qu’ils ont vu l’ennemi. déconcerté et moins stoïque, rompre le combat et commencer une retraite qui, sur plus d’un point, a dégénéré en déroute. Relisons l’émouvant ordre du jour qui, au lendemain de la victoire, était adressé à l’armée de Paris, mais qui s’applique aussi bien à l’armée française tout entière :


La sixième armée vient de soutenir, pendant cinq jours entiers, sans interruption ni accalmie, la lutte contre un adversaire nombreux et dont le succès avait jusqu’à présent exalté le moral. La lutte a été dure ; les pertes par le feu, les fatigues dues à la privation de sommeil et parfois de nourriture ont dépassé tout ce que l’on pouvait imaginer ; vous avez tout supporté avec une vaillance, une fermeté et une endurance que les mots sont impuissans à glorifier comme elles le méritent.


Ce fut en effet une lutte épique, et qui, au témoignage des hommes du métier, restera au nombre des quatre ou cinq grandes choses de notre histoire militaire. Nous n’en connaissons pas tous les détails, même importans, et c’est tout au plus si, avec quelques épisodes essentiels, nous en percevons le mouvement général et le rythme. Mais cela suffit pour nous faire pressentir tout ce qui s’est dépensé, chez l’adversaire, de bravoure, d’obstination et d’habileté stratégique, et chez nous, d’héroïsme, de patiente énergie, de talent militaire. Hommes