des cadavres abattus l’un sur l’autre dans des tranchées hâtivement creusées, pêle-mêle avec des fusils et des épées et des casques. Ah ! combien il a dû être surpris, le soleil de ce matin d’automne, en constatant ce qui s’était passé entre son coucher de la veille et son glorieux retour ! »
Mais M. Graham avait hâte de contempler de ses propres yeux, autant que possible, l’un de ces combats dont il ne se lassait pas d’écouter les récits, infiniment variés d’après l’espèce et la qualité des narrateurs. C’est encore un dimanche soir que. sortant de Varsovie, il a grimpé sur le toit d’une cabane à demi détruite, pendant qu’à quelques kilomètres de là se livrait la première en date des grandes batailles dont le succès aurait permis aux Allemands de prendre possession de la capitale polonaise :
C’est un triste dimanche d’automne, et le grondement continu du canon s’adapte le mieux du monde à cette impression de morne tristesse. Toute l’étendue grise du ciel, vers le couchant, se teinte de sinistres reflets rouges, et de toute la plaine je vois s’élever des colonnes massives d’une fumée rouge, s’exhalant des fermes qui brûlent, ou bien encore des cercles légers de fumée blanche résultant d’obus qui viennent d’éclater. Tous les arbres sont jaunes, le sol est changé en un marais de boue, les vastes champs de choux ont été écrasés sous les pieds des chevaux, les petites maisons de bois des paysans polonais sont fermées et désertes. A ma droite se dresse un bois dont les branches frissonnent ; à ma gauche s’allonge la chaussée grise, dessinée par une suite de poteaux télégraphiques. Aucun civil n’a le droit d’y passer : mais souvent des automobiles militaires se précipitent avec une rapidité folle, des renforts d’infanterie trottent vers le front, des chariots chargés de blessés reviennent lentement, se dirigeant vers l’ambulance installée à l’entrée de la ville. Et puis il y a des momens où la route est vide, et où je la vois se perdre lugubrement, à l’Ouest, dans un nuage de poussière, de brume, et de fumée.
Du Nord arrivent des explosions d’un timbre métallique, comme si l’on avait hissé les canons sur des toits de zinc. Du Sud, j’entends partir des détonations basses et soufflantes ; du centre, des claquemens sonores qui font songer à des portes sans cesse refermées en sursaut, et qui doivent être la musique régulière des mitrailleuses. La bataille fait rage au Nord-Ouest de la ville, avec un grondement qui parfois s’accentue soudain et semble s’approcher, comme si quelque machine énorme roulait pesamment, irrésistiblement, vers la ville.
Une sentinelle m’aborde, un garçon tout simple et gentil qui, après avoir jeté un coup d’œil sur mes papiers, accepte avec plaisir l’une des cigarettes dont j’ai toujours une provision en réserve pour ses pareils.
— Les vôtres aussi se battent bien, me dit-il, vos Anglais ! J’ai appris de quelle façon ils avaient arrêté les Allemands. Ces gens-là ont beau nous donner bien de l’ouvrage par ici, ils ne battront pas les Anglais ! Voilà un peuple, un grand peuple !