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envahisseurs. Telle est l’histoire des incidens qui précédèrent l’entrée des troupes allemandes à Gand. D’ailleurs, il s’en fallut de peu que cette ville eût le sort de Termonde et de Louvain. Peut-être, la nationalité des témoins placés par le hasard à l’origine du conflit, la fermeté du consul évoquant à propos les sympathies historiques de la grande République américaine pour Gand, firent-elles plus que la douceur hypothétique de cœur du général von Bœhn pour sauver l’antique cité. Mais elle fut sauvée contre toute espérance, et le reporter du New York World est justement fier d’avoir joué un rôle important dans cette dramatique affaire.

La rencontre lui permit en outre de contempler à loisir le merveilleux outil de guerre qu’étaient encore, dans les premières semaines de septembre, les armées de Guillaume II. A lire cette description saisissante, déjà reproduite par les grands journaux, on est contraint de méditer. L’offensive inattendue des Belges détourna soudain vers le Nord ces troupes formidables qui allaient à marches forcées intervenir dans la bataille de l’Aisne où s’arrêtait notre élan. Plus tard, quand l’heure sera venue d’épiloguer, des critiques susceptibles mesureront peut-être au compte-gouttes la part militaire de la Belgique dans l’œuvre du salut commun. Et cependant, plus encore que les sacrifices du début de la campagne, l’héroïque diversion qui força les Allemands à éloigner leur IIIe et leur IXe corps du théâtre principal de la guerre, au moment où leur intervention pouvait être décisive, mérite le respect et la reconnaissance sans réserves des Français.

Si étonnant que cela paraisse, Powell a circulé sans ennuis sur toutes ces routes couvertes de guerriers peu accommodans. Il doit, pense-t-il, son bonheur extraordinaire à la provision de tabac dont il avait eu soin de bourrer le coffre de l’auto. Rencontrait-il dans la région occupée par les troupes allemandes une patrouille, un poste, des groupes d’isolés avec lesquels des discussions auraient vite tourné à l’aigre, des paquets de cigarettes jetés sans parcimonie, accompagnés d’un « au revoir » aimable, dégageaient la route plus vite et mieux que le plus en règle des laissez-passer. On peut donc croire que le grand État-major avait quelque peu oublié l’approvisionnement de tabac dans ses minutieux calculs : le soleil lui-même a des taches. Un tel oubli, qui paraît être de minime importance, est