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Sybel reconnaît au Prince tous les droits même ecclésiastiques. Le droit de nommer les pasteurs, bien entendu. Le droit de prêcher, dont Guillaume II use abondamment. Le droit de consacrer les églises. Et même le droit de baptiser et de conférer les sacremens, bien que les rois, dans la pratique y aient habituellement renoncé !

Dans un article remarquable sur les Lois chrétiennes de la guerre, M. Bernard Gaudeau a raison d’affirmer que « la pensée allemande moderne ruine l’absolu dans l’intelligence humaine » et que de cette ruine résulte « la maxime scélérate : la force crée le droit. »

On n’adoptera jamais chez nous de pareilles maximes. Dans le gouvernement des hommes, les philosophes agissent beaucoup plus que les législateurs, et les nôtres ne conduisent pas à ces excès. Les idées naissent à l’écart, dans quelque solitaire et fière retraite ; elles sont avidement recueillies, propagées et mises en œuvre, bien que parfois imparfaitement comprises, par les politiques, pour l’utilité de leur parti. Et elles sont quelquefois redressées et mises au point par le bon sens du peuple, enclin à appliquer les idées, dans la pratique, jusqu’à leurs plus extrêmes conséquences.

Comte et Renan ont amené le règne de Ferry et de Buisson. Règne déjà fort différent de celui des disciples de Voltaire. Règne près de céder la place aux disciples de Durckeim, qui seront tout différens encore. Ceux-là, par exemple, ne songeront plus, après les expériences de William James, à nier, ni à tourner en dérision, ni à traiter d’imposture ce qu’ils appellent le phénomène religieux, mais ils inventeront une religion nouvelle. Ils admettent le fait religieux, mais en le qualifiant, comme d’ailleurs tout ce qui se manifeste en l’homme, de phénomène social ; et ils offrent à l’adoration de chacun un objet réel.

Quel objet ? Il ne s’agit plus du Panthéisme littéraire de Renan, ni de la séduisante poésie de M. Buisson. « La plus pure, la plus ailée, la plus insaisissable des poésies, par où l’âme exprime son besoin d’aimer et d’espérer sans fin, » écrit-il à son ami, M. Aulard : telle est la religion laïque, au nom de laquelle ces poètes sans credo ont chassé les Sœurs des écoles et des hôpitaux ! Non, nous n’en sommes plus à ces explications naïves d’un sentiment et d’un besoin de l’humanité tout