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ici le lieu d’entrer dans le détail de la politique économique de Rome, ni de sa diplomatie. Disons seulement que, si la sagesse y a une grande part, l’humanité n’y en a à peu près aucune. — Enfin, quels que soient les services rendus, quelque solides que semblent être les traditions qui font d’un peuple un ami de Rome, l’amitié est toujours précaire et révocable. Au milieu du IVe siècle, les Latins sont depuis longtemps les alliés de Rome : ils sont de même race, parlent la même langue, ont les mêmes : mœurs, servent sous les mêmes enseignes. Ils se croient autorisés par cela seul à réclamer une part dans le gouvernement, et demandent que l’on prenne parmi eux un des deux consuls et la moitié des sénateurs. Rome refuse, naturellement, — mais en quels termes outrageans ! Le consul Manlius proclame que, si par hasard cette extravagante proposition était acceptée, il tuerait de sa propre main le premier Latin qui viendrait siéger au Sénat. On voit ce que pèse dans l’esprit des magistrats romains le souvenir d’une longue entente et d’une fidèle collaboration. Du jour au lendemain, cette alliance trompeuse peut laisser réapparaître le vieil antagonisme, caché, mais non détruit.

Que ces sentimens de haine, de défiance et de mépris pour l’étranger aient existé dans la Rome des premiers temps, on n’en peut être surpris : c’est, nous l’avons dit, la mentalité de toutes les nations primitives. Qu’ils y aient longtemps duré, à peu près aussi longtemps qu’il l’a fallu pour que Rome fit la conquête du monde, cela non plus n’est pas très étonnant. Ce qu’il faut remarquer, c’est que, pendant bien des années, ils ne semblent rencontrer presque aucune opposition. Ils sont habituellement aussi vivaces chez les novateurs que chez les conservateurs. La démocratie romaine, tout enfiévrée d’un impérialisme mercantile et agressif, n’est pas plus accessible aux idées d’humanité que l’oligarchie la plus arriérée. C’est l’aristocratie ; qui a si durement réglé le sort des vaincus, qui leur a si obstinément refusé l’accès de la vie politique et juridique ; mais c’est le parti populaire qui a décidé la plupart des grandes expéditions militaires. L’œuvre d’assujettissement universel a été poursuivie par les deux factions, à tour de rôle, mais avec une égale intransigeance. A peine peut-on nommer trois ou quatre réformateurs, d’une intelligence plus éclairée ou d’un cœur plus généreux, qui ont entrepris d’associer à la puissance de Rome