Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette doctrine, consolante et rassurante, il en a trouvé les fondemens essentiels dans la philosophie : ce qui est intéressant, c’est de voir comment il l’applique à l’histoire de son pays, et à cette série de guerres et de conquêtes qui en a fait la grandeur. Ses idées à ce sujet peuvent se résumer ainsi. En premier lieu, la guerre est un mal. « Des deux modes de conflit, la discussion et la lutte violente, le premier convient aux hommes, le second aux bêtes, et il ne faut recourir au second qu’à défaut du premier. » Mais, en ce cas, il ne faut pas craindre d’y recourir : la guerre est légitime quand elle est nécessaire pour obtenir le droit « de vivre en paix sans être opprimé. » Cette formule semble ne laisser subsister que les guerres défensives, les guerres de salut public, et exclure les guerres de domination : Cicéron les admet pourtant. Un peuple, d’après lui, peut et doit se battre, non seulement pour sauvegarder son existence menacée, mais pour maintenir son prestige compromis, imperii gloria. Contre les Cimbres, les Romains ont lutté pour savoir qui des deux subsisterait, uter esset ; contre les Carthaginois et contre Pyrrhus, pour savoir qui des deux serait le maître, uter imperaret. L’un est aussi bien permis que l’autre. Seulement, dans le second cas, Cicéron demande que l’on se batte avec moins d’acharnement : si ce n’était commettre un anachronisme, on pourrait dire qu’il conçoit les guerres « impériales » comme des sortes de tournois chevaleresques, où il s’agit, non de faire du mal à son rival, mais simplement de prouver sa supériorité. Jusque dans les guerres « nationales, » du reste, il y a encore place pour les « droits de la guerre : » il entend par-là des rapports de justice, et même de générosité, qui persistent entre ennemis. Et, après la victoire, il faut épargner ceux qui n’ont pas été atrocement cruels dans la lutte. Ici, le philosophe ne craint pas d’apprécier, de ce point de vue, les grands faits du passé de sa ville. « Nos ancêtres ont, non seulement laissé vivre, mais reconnu comme citoyens les Eques et les Volsques, les Sabins et les Herniques ; au contraire, ils ont détruit de fond en comble Carthage et Numance [avec lesquelles la guerre avait été d’une âpreté exceptionnelle] ; je regrette qu’ils aient aussi détruit Corinthe. » Évidemment, tous ces cas particuliers sont assez discutables, et le principe même n’est peut-être ni très net, ni très sûr : mais ce dosage ingénieux de l’éloge et du blâme révèle bien le caractère « moyen » et pondéré de Cicéron, son