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de travail mieux équilibrée, un besoin de vues générales et philosophiques qui allaient s’imposer à cette jeunesse studieuse. Sans doute, Edmond About restait toujours sans rival pour la souplesse de l’esprit, la vivacité du trait, la finesse de l’ironie, qualités d’autant plus goûtées que tous ces normaliens nouveaux, pour la plupart issus de la province, venaient de passer par les divers collèges parisiens, s’y étaient polis et formés à ces manières si séduisantes pour la jeunesse. Si Taine devenait peu à peu le modèle et le guide de cette élite studieuse et lui enseignait par l’exemple la probité du travail et de la pensée, About restait le chef du chœur ironique et narquois qui domine les événemens et la vie, savait en tirer aussi un enseignement et montrer que l’esprit qui surmonte les faits et les explique, la malice qui les raille, la verve qui n’épargne ni les autres ni soi-même, sont encore parfois des leçons d’énergie et de réconfort. Et jamais, à coup sûr, les élèves de l’Ecole normale n’eurent plus besoin d’être soutenus et réconfortés qu’à l’heure où la promotion de Taine et d’Edmond About venait d’en franchir le seuil.

Précisément, dans les promotions qui avaient précédé immédiatement celle-ci, s’étaient faufilés bien des jeunes gens dont on pouvait croire qu’ils ne voudraient pas rester confinés dans les devoirs de l’enseignement public et songeraient sans doute à en élargir le cadre. Déjà, en 1845, Beulé, Caro ou M. Alfred Mézières ; en 1846, Challemel-Lacour ou Eugène Véron ; en 1847, Alfred Assollant, Jean-Jacques Weiss ou Eugène Yung n’étaient pas des modèles d’universitaires tels qu’on les rêvait trop volontiers alors, uniquement attachés à leur mission, ne voyant rien au-delà et écrasant leur curiosité d’esprit sous le poids de leurs obligations professionnelles. Ce devait être bien pis en 1848, alors que les émotions de la rue avaient fait vibrer les âmes des lycéens et qu’un souffle de liberté plus large enflait leurs poitrines. À cette génération qui arrivait alors à la vie active sous de si généreux auspices, les épreuves ne devaient, hélas 1 pas manquer. Si Taine fut le cerveau, la pensée de ses camarades dans l’épreuve prochaine, Edmond About en fut la gaieté, la joie, la vie, et, à de certaines heures déprimantes, le chant qui éclate dans le silence, la plaisanterie qui ranime les cœurs ne sont pas moins nécessaires que l’idée qui guide et qui éclaire.