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Ce ne sont pas là les habitudes de Taine, qui en souffre parfois, mais qui rend justice à un rival trop heureux dont il dit : « Il a des sens trop vifs, un esprit trop brillant, un trop grand besoin de jouir et de paraître ; mais quel être fort, s’il voulait ! » Il le devint, et Taine plus encore, mais non dans le sens où leurs facultés pensaient alors s’exercer. Sous la direction de Dubois (de la Loire-Inférieure), l’École normale avait trop attiré l’attention sur elle-même, sur les doctrines qu’on y professait, sur les élèves qu’on y formait. Il convenait de la réformer et, pour cela, on commença par en changer la direction, qui, des mains de Dubois, passa dans celles d’un honnête administrateur, Michelle, tout à fait étranger jusque-là aux traditions de l’établissement confié à ses soins. Le philosophe Vacherot, directeur des études littéraires, fut évincé lui aussi, et toutes ces modifications, qui firent grand bruit dans le temps et dont le souvenir n’est pas effacé, troublèrent profondément l’esprit de l’École et les conditions de son enseignement. Il était fatal que les élèves s’en ressentissent. La fin de la seconde année de la promotion de 1848 et sa troisième année tout entière se trouvèrent, de ce fait, fort assombries. Si le travail ne fut pas diminué, la gaieté fut atteinte à ses sources : on sentait que les difficultés allaient surgir et, malgré l’optimisme de l’âge, on s’en montrait vaguement inquiet. Détail caractéristique, le brillant uniforme de l’École était supprimé et remplacé par l’habit noir, à queue de morue, orné d’une large palme violette au-dessus de la boutonnière : désormais les Normaliens devaient se promener ainsi, se rendre aux cours de la Sorbonne et du Collège de France, venir écouter Jules Simon ou applaudir Michelet. C’étaient là les délassemens de cette jeunesse, qui n’interrompait ses propres travaux que pour entendre la voix des maîtres qui savaient l’émouvoir. Pourtant, au milieu des épreuves de l’agrégation, About eut une fantaisie à laquelle il s’abandonna. Après l’examen écrit, il partit pour Londres, où se tenait une exposition universelle dont on parlait beaucoup. Dans quelles conditions s’effectua cette visite, la lettre suivante à Arthur Bary, datée du 31 août 1851, va nous l’apprendre, avec les impressions qu’About rapportait de cette escapade.

« Mon cher ami, la date de cette lettre t’explique d’avance comment et pourquoi je ne pourrai pas profiter dimanche de