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venir d’Allemagne ou d’Autriche, ce qui n’est point aisé déjà, ce qui sera impossible bientôt, peut-être, quelque prix qu’on y mette. On sent par-là combien il eût été précieux que la flotte russe pût agir à l’entrée du Bosphore dans le même temps que les escadres anglo-françaises obligeaient les batteries des Dardanelles à consommer des munitions. En tout cas, ces munitions, il faut les amener aux Dardanelles, par terre ou par mer. Par terre, du côté Europe, la route est fermée, passant à Boulaïr sous le feu des vaisseaux alliés. Celle d’Asie est beaucoup trop longue, si tant est qu’elle existe au-delà de Brousse. C’est donc par la mer de Marmara qu’arrivent obus, gargousses, cartouches, artifices de toute espèce. On voit, sans que j’y insiste autrement, quel intérêt il y aurait à ce que l’on pût faire passer dans cette mer des unités sous-marines susceptibles de s’y maintenir quelques jours dans une phase d’opérations décisives. Le problème peut être résolu de diverses façons, que je n’ai garde d’énumérer, me bornant à dire que ni les mines, ni les filets ne sont d’infranchissables obstacles. Je hasarderai pourtant une solution d’un caractère tout spécial, justement parce qu’il n’y a nulle chance qu’elle puisse être adoptée, les autorités compétentes en ayant certainement sous la main de moins aventurées, si tant est que la question ait été jamais mise à l’étude. La voici.

Considérons l’isthme de Boulaïr, que nous tenons sous notre feu. Cette langue de terre se développe sur une longueur d’à peu près 20 kilomètres, avec une largeur moyenne de 5 000 à 6 000 mètres. L’altitude de ce bourrelet ne dépasse guère 100 mètres, au faîte du vallon du Boulaïr Boyhaz. La puissance des moyens mécaniques actuels ne permet-elle pas de faire franchir un si faible obstacle à de petits bâtimens dont le poids n’excède pas 400 tonnes, et que l’on peut momentanément alléger ? Nul n’en doute. Mahomet II, avec des engins rudimentaires et n’ayant à sa disposition que la force musculaire de ses soldats, ne réussit-il pas à faire passer ses galères dans le fond de la Corne d’Or, par-dessus l’isthme, deux fois plus large et plus accidenté, de Galata ? Il est vrai que les Grecs de Constantin Dracozès et les Génois de Giustiniani assistèrent, stupéfaits et passifs, au développement de cette audacieuse opération, tandis que les Germano-Turcs d’aujourd’hui interviendraient avec énergie pour troubler celle dont je parle. Mais