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d’être un État dans l’État. En écrivant sa note telle qu’on la lui avait sans doute dictée de Berlin, — car le gouvernement impérial en a depuis accepté la responsabilité, — le comte Bernstorf a-t-il eu quelque vague sentiment de son inconvenance ? On pourrait le croire, car il l’a qualifiée de mémorandum, parce qu’on répond à une note et non pas à un mémorandum : il voulait, par prudence, dispenser le gouvernement américain d’y répondre. Mais M. Bryan a tenu à le faire et on ne saurait trop l’en approuver. Note ou mémorandum, il a jugé que le nom ne faisait rien à la chose et que la chose méritait d’être relevée. « Cela paraît d’autant plus nécessaire, a-t-il dit, que le langage employé par votre mémorandum est susceptible de s’expliquer comme mettant en doute la bonne foi des États-Unis. » C’est un doute sous le poids duquel M. Bryan n’a pas voulu rester. Il a justifié l’exercice du droit de visite par des motifs qui étaient la plus sanglante critique des procédés de pirates des Allemands dans les mers anglaises. Ce droit, dit-il, « est absolument nécessaire pour prévenir toute confusion entre les vaisseaux neutres et ceux qui appartiennent à l’ennemi, et aussi toute méprise entre les cargaisons légitimes et celles qui ne le sont pas. » On ne saurait mieux dire, mais qu’importe aux Allemands ? Ils ont renoncé à toute distinction entre les belligérans et les neutres, entre les cargaisons légitimes et la contrebande de guerre et ils tirent indifféremment, aveuglément dans le tas, comme s’ils voulaient être plus sûrs d’atteindre l’ennemi en frappant tout le monde. Ils trouvent mauvais que les autres exercent le droit de visite. Eux, en effet, ne l’exercent pas puisque tout leur est bon pour servir de cible à leurs torpilles, amis et ennemis, à supposer qu’ils puissent encore avoir des amis. Ajoutons que ces mêmes hommes qui violent outrageusement les principes les mieux établis du droit des gens lorsqu’ils y trouvent une gêne, poussent des cris d’orfraie et deviennent les plus pédans des juristes lorsqu’on ne les observe pas minutieusement envers eux. Mais leur prétention la plus exorbitante est de vouloir interdire aux Américains de faire le commerce des armes avec les Alliés, alors qu’ils ne le font pas et ne peuvent pas le faire avec eux. Ils voient là une violation de la neutralité ! A son tour, M. Bryan a invoqué les principes du droit. La mer est libre, elle n’appartient à personne et tout le monde a le droit de s’en servir pour envoyer, à ses risques et périls à qui il veut, des marchandises de toute nature. Si les Américains n’en envoient pas aux Allemands, c’est qu’elles seraient arrêtées en route et n’arriveraient pas à leur destination. Mais pourquoi les Allemands