Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moment même où il allait s’embarquer, on lui remit le déchiffrement d’un télégramme de notre vice-consul à Mostar, portant à peu près ce qui suit : « Cent-vingt Nesséniens, avec leurs armes, sont partis pour la montagne et réclament un commissaire. »

L’ambassadeur me remit la dépêche en me disant que c’était à moi à m’occuper de cette affaire ; or, c’était le point de départ du soulèvement bosno-herzégovinien, de la révolte bulgare, de la guerre turco-serbe-monténégrine, enfin de notre guerre avec la Turquie et du nouvel ordre de choses établi dans la presqu’île balkanique.

Certainement le brusque éclat d’un mécontentement des chrétiens ne pouvait être une surprise pour personne. La mauvaise administration turque provoquait des plaintes générales. Les excès des Albanais et des Circassiens surtout exaspéraient les habitans slaves de la Roumélie et créaient continuellement des conflits sur les frontières monténégrine et serbe. Le prince Nicolas en profitait habilement pour étendre son influence dans les districts qui avoisinent la principauté. Aussi, dès qu’éclata le mouvement herzégovinien, des centaines de Monténégrins s’empressèrent-ils de se porter au secours des Herzégoviniens, ce qui constitua immédiatement un noyau armé d’où devait sortir plus tard toute l’insurrection. En Autriche, on ne voyait pas d’un mauvais œil ce mouvement, qui donnait à l’Empire des Habsbourg un prétexte à intervention active dans les affaires balkaniques. Des familles bosniaques avaient déjà émigré en Autriche par Bania-Louka, fuyant l’arbitraire turc. Le Cabinet de Vienne exigeait leur rapatriement, mais réclamait en leur faveur des garanties. Le terrain était donc parfaitement préparé dans ces contrées pour un soulèvement contre le joug turc et même pour une lutte armée, qui ne tarda pas en effet à éclater, malgré nos actives tentatives de pacification et de conciliation.

Ma tâche consistait donc à recommander aux Turcs de ne point user de la force pour ne pas envenimer le conflit, d’agir avec modération et surtout d’entendre et de satisfaire les justes réclamations des chrétiens. Mais comment amener un gouvernement qui se sent relativement fort à traiter avec des rebelles et à remplir, avant de les avoir entendus, la première de leurs exigences : l’envoi d’un commissaire ? D’autre part, le