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la claire perception de la vérité et à l’application des vrais remèdes qu’exigeait la situation. L’opinion publique, chauffée par le Comité slave qui était alors dans toute sa puissance, prêchait la libération des chrétiens et poussait le Gouvernement à une politique active, conforme aux traditions historiques de notre diplomatie. Le Ministère, dirigé en l’absence du prince Gortchakof par M. de Jomini, voulait au contraire éviter des complications : il croyait y arriver en s’entendant avec l’Autriche, où un diplomate habile, M. Novikoff, entièrement dominé par le comte Andrassy, travaillait à un accord avec le Cabinet de Vienne en vue des événemens futurs. Or, Andrassy, qui ne voulait certainement pas le bien des Slaves qu’il détestait, était cependant disposé à prendre le parti des chrétiens révoltés près des frontières de la monarchie austro-hongroise, pour y empêcher l’éclat d’une révolution sérieuse qui aboutirait à l’annexion à la Serbie. C’est ce qu’il redoutait alors le plus, et à quoi tendaient les vœux des Bosniaques, encouragés en cela par le Gouvernement serbe. La Bosnie à la Serbie, l’Herzégovine au Monténégro, telle était la solution préconisée à cette époque, et elle ne pouvait convenir au Cabinet de Vienne.

Le général Ignatieff revint à la fin de septembre par Livadia où se trouvait l’Empereur et se mit immédiatement, avec l’activité qui le caractérisait, à étudier la situation et à chercher le parti qu’on pouvait en tirer. Il comprit sans difficulté que l’affaire ne comportait que l’une ou l’autre de deux solutions radicales : ou soutenir ouvertement l’insurrection, prendre franchement son parti en pesant énergiquement sur la Porte et aller même jusqu’à une intervention armée et à la guerre pour obtenir la satisfaction légitime des vœux des chrétiens : à savoir une autonomie plus ou moins large avec un gouverneur général nommé avec l’assentiment des Puissances, et même un prince étranger vassal du Sultan, — ou bien, si l’on n’était pas décidé à aller jusqu’au bout, cesser toute intervention, recommander aux insurgés la soumission et laisser les Turcs écraser le mouvement. Ce dilemme ne tarda pas à se présenter à l’ambassadeur d’une manière plus précise encore.

Je le rencontrai un jour se promenant dans la galerie vitrée de l’Ambassade, et il me dit qu’il se trouvait fort embarrassé. Un agent bosniaque (c’était Petar Uselacz, qui a joué un rôle souvent suspecté depuis) était venu prendre conseil de lui pour