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naires. La Grange accorde aux réformés de Wolfisheim (près de Strasbourg) un pasteur suisse, « pourvu toutefois que ledit ministre ne sache pas la langue française ».

Dans les petites villes, laissées à elles-mêmes, spécialement en Basse-Alsace, le français ne gagne pas vite. En 1685, le Magistrat de Haguenau refuse un congé au sieur Wurtz, secrétaire de la ville, vu que pendant son absence il n’y aurait plus, en cas d’urgence, une seule personne dans la ville pouvant servir d’interprète. Un historiographe sérieux de la ville de Lauterbourg va jusqu’à affirmer que, de 1680 à 1720, il ne s’y est rencontré qu’un seul autochtone sachant le français. La langue administrative locale est toujours l’allemand. Même à Strasbourg, les procès-verbaux des séances du Magistrat sont rédigés en allemand jusqu’en 1789. À Saverne, c’est seulement en 1699 que les comptes de la ville sont rédigés dans les deux langues. Pour nous en tenir à un témoignage éclairé et impartial, le mieux est de dire avec La Grange qu’à la fin du xviie siècle, « la langue commune de la province est l’allemand ; cependant il ne s’y trouve guère de personnes un peu distinguées qui ne parlent assez le français pour se faire entendre, et tout le monde s’applique à le faire apprendre à ses enfans, en sorte que cette langue sera bientôt commune dans la province. »

C’est en effet ce qui se produit peu à peu au xviiie siècle, mais toujours par l’effet d’une bonne volonté que nul ne cherche à éperonner ni à violenter. Tout le monde y met au contraire beaucoup de bonhomie. À Réguisheim, on décide de prendre « un nouveau maître capable d’enseigner les deux langues ainsi que l’arithmétique ». Le maître en fonctions confesse qu’il ne connaît pas l’orthographe française à fond et qu’il ne sait en arithmétique que les trois premières règles, et il offre de prendre à ses frais un aide pour ces deux matières. Malheureusement, il suffit de lire sa propre requête pour voir qu’il n’est pas plus fort en allemand qu’en français. On le remplace, mais on en garde d’autres qui ne sont pas beaucoup plus brillans. Partout ce sont les autorités locales qui s’arrangent à leur gré. Rien de plus patriarcal. La monarchie française, et les écrivains allemands sont bien forcés de le reconnaître, n’a jamais fait échec systématiquement à la langue allemande, et surtout n’a jamais songé à imposer la langue française par l’école. C’est seulement en 1788 que le gouvernement de Louis xvi, consta-