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tout le monde est inquiet, venez vite voir ce qui se passe, c’est très curieux. »

J’avais vu en effet le matin qu’un gros bâtiment turc était dans le golfe de Buyukdéré, mais je croyais qu’il s’y était réfugié à cause du mauvais temps, et je ne me donnai pas la peine de le bien examiner à travers le brouillard. Quant aux coups de canon, je les attribuai à l’arrivée de quelque navire de guerre étranger ou à une autre cause, je n’y fis pas attention. Je courus donc vite à l’ambassade, où je trouvai réellement le général Ignatieff en proie à la plus vive agitation. Il avait peur au fond qu’on ne s’en prit aussi à lui, car on le savait être bien vu par Abdul Aziz, et c’est surtout la présence du navire de guerre turc qui le troublait au milieu de l’ignorance absolue où il se trouvait sur ce qui se passait dans la capitale. Pendant que j’étais là, le premier chirket était arrivé de la ville. On envoya en hâte un des courriers au débarcadère chercher des nouvelles : il vint nous annoncer que Mourad était proclamé sultan, que tout s’était calmement passé, que le peuple était en jubilation. Quant au sort d’Abdul Aziz, on l’ignorait, mais on croyait qu’il était en vie. Un grand poids était tombé du cœur d’Ignatieff, quoique politiquement sa situation fût absolument compromise. Il me pria d’aller porter ces nouvelles au baron de Werther, ambassadeur d’Allemagne, et je rencontrai en route le comte Radolinsky, conseiller de l’ambassade allemande, qui se rendait pour le même objet chez nous. Peu après, on apprit que Abdul Aziz était en vie réellement, on connut les détails de la révolution, et le lendemain ou quelques jours plus tard, après avoir fait le récit du changement de règne, le journal officiel français annonçait que « son Altesse Abdul Aziz Effendi s’était rendu auprès de Sa Majesté le sultan Mourad V, son neveu, pour le remercier de l’autorisation qui lui avait été accordée de s’installer dans une des attenances de Tchéragan, tandis qu’il avait été transporté au premier moment à la pointe du Sérail.

Dès que la nouvelle d’un changement de règne se fut répandue dans le corps diplomatique, la plupart des représentai étrangers, — les Anglais en tête, — s’empressèrent de reconnaître le nouvel ordre de choses.

Les coups de canon que nous avions entendus dans la matinée étaient des salves tirées en l’honneur du nouveau sultan par les cuirassés turcs rangés devant le palais. Aussitôt que la