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nouveau et quelques-uns d’entre eux se mirent même entre les chevaux et le timon pour ne pas être emportés par la foule, qui était continuellement refoulée d’un côté et de l’autre, tantôt par des cavaliers, tantôt par des troupes qui revenaient du selamlik.

Cette journée ne devait pas finir sans nous mettre encore une fois en contact avec la foule turque. Remontant le Bosphore en caïque, nous nous arrêtâmes pour nous reposer aux Eaux-Douces d’Asie. Nous trouvâmes la pelouse assez vide, mais les kaikdjis nous proposèrent de nous faire remonter la petite rivière, où il y a de jolis cafés ombragés. Nous nous laissâmes faire, et, au bout d’un quart d’heure, nous nous trouvâmes dans une délicieuse petite vallée bordée de grands arbres, où, dans un café rustique, dégustaient leur moka et fumaient leurs narghilés des masses de Turcs, de beau type. Nous dûmes prendre place au milieu d’eux, seuls Européens parmi les Orientaux, et le cafetier grec nous exprima son étonnement de nous voir échoués parmi ce monde. Il nous donna d’excellentes fraises, et après un temps de repos nous reprîmes la route de Buyukdéré, sans avoir subi aucun inconvénient de cette expédition un peu hasardée, mais dont j’ai gardé un délicieux souvenir. C’était le premier et en même temps le dernier selamlik de Mourad auquel j’assistai grâce à la princesse Troubetzkoï, tout comme huit jours avant nous avions assisté au dernier selamlik d’Abdul Aziz.


Cependant des préparatifs étaient faits pour le Sabrement de Mourad. La cérémonie était fixée au lundi suivant et le corps diplomatique devait prendre part au cortège du jeune Sultan. Ma femme, qui était en train d’arriver, prévenue par télégraphe, avait pressé son voyage. Le bateau qui l’amenait et à bord duquel se trouvaient quelques autres voyageurs venus pour la cérémonie, réussit à entrer dans le Bosphore, dimanche, avant le coucher du soleil. Mais un événement tragique fit remettre la solennité à plus tard, et elle n’eut plus lieu du tout. Dans la matinée du dimanche, Abdul Aziz était mort. Les récits officiels prétendaient qu’il s’était suicidé en s’ouvrant les artères avec des ciseaux qu’il avait, disait-on, demandés pour se tailler la barbe. Des médecins européens, appelés pour constater sa mort,