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comprenaient d’ailleurs combien l’arrêt des opérations militaires pouvait leur être désavantageux dans un pareil moment ; ils hésitaient donc à se plier à nos demandes et Ahmed Eyoub pacha avançait toujours, jusqu’à ce que, à son arrivée à Constantinople, le général Ignatieff eût exigé la suspension des hostilités par son fameux ultimatum d’octobre. Il me semble cependant qu’un armistice provisoire avait été accordé avant cela et que même des négociations avaient eu lieu ; mais, comme elles n’ont pas abouti, les hostilités avaient été reprises.


Avant que ma gestion prit fin, un événement intérieur d’importance primordiale se produisit en Turquie, et occupa pendant quelques semaines mon activité et l’opinion publique de l’Europe : c’était la destitution, le détrônement de Mourad et la proclamation comme sultan d’Abdul Hamid. Il était évident, dès les débuts du règne de Mourad, qu’il ne pourrait pas rester sur le trône et qu’un nouveau changement de sultan serait inévitable. Les ministres qui gouvernaient en son nom l’Empire étaient préoccupés de cette éventualité et voulaient avant tout faire ce changement sans secousse et ensuite s’assurer qu’ils garderaient le pouvoir et mèneraient à bonne fin leurs projets : c’est-à-dire une modification du régime dans un sens constitutionnel. Pour le premier point, la difficulté était que, à ce qu’on prétendait, Mourad n’était pas absolument fou : il fallait donc prendre toutes les précautions pour n’être pas accusés de séquestration et ne pas donner prétexte, au nom du Sultan illégalement éloigné du trône, à un mouvement réactionnaire. Pour cela, et après bien des hésitations, les ministres firent venir de Vienne le fameux aliéniste de Döbling, le docteur Leidesdorff. Il donna son avis, qui, paraît-il, concluait à l’incurabilité absolue de Mourad. Quant au régime futur, il y a tout lieu de supposer que des pourparlers ont eu lieu avec Abdul Hamid, qui était le successeur légitime de son frère, et qu’on lui a fait prendre l’engagement de mettre à exécution les réformes projetées par Midhat et ses collègues, car, dès son avènement au trône, il a fait préparer et ensuite proclamer la Constitution. Elle a même fonctionné pendant un hiver et n’a jamais été abrogée, mais il n’en a plus été question.

Des bruits plus persistans d’un changement imminent de règne ont commencé à circuler dès la fin de juillet. En août.