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Ce lyrisme nouveau que nous attendons et que nous appelons de nos vœux, si personnelle qu’en puisse être l’expression, aura vraisemblablement, comme d’ailleurs les plus grandes œuvres lyriques, quelque chose de très impersonnel par la qualité des sentimens et des idées qu’il mettra en œuvre. Les émotions que vont traduire nos poètes, ce sont celles de tout un peuple ; et quel est celui d’entre nous qui, dans le miroir qu’ils lui présenteront, ne se reconnaîtra pas lui-même, ne retrouvera pas toute une partie de sa vie passée ? Heureux les poètes qui, portés par le flot même des événemens, n’ont qu’à exhaler leur chant intérieur pour devenir tout naturellement des poètes nationaux ! Il est même à croire que le lyrisme des nôtres revêtira plus d’une fois la forme épique. Non pas, on l’entend bien, et Dieu m’en garde ! — que je réclame une Joffréide ! Je crois que certaines formes d’épopées, — comme de tragédies, sont aujourd’hui absolument périmées, et que le plus grand génie ne saurait les galvaniser. Mais le « fragment épique, » à la manière de Victor Hugo, par exemple, est une forme bien vivante, et qui conviendrait à merveille pour glorifier les exploits de nos étonnantes armées. Car elle est partout dans cette guerre, l’épopée française, aussi glorieuse, aussi follement téméraire, aussi insouciante du danger, aussi dédaigneuse de la mort qu’aux plus belles journées des guerres de la Révolution ou de l’Empire. Ces jeunes gens que rien n’avait préparés à la vie des camps se sont, du premier coup, montrés les émules des vieux grognards leurs ancêtres. Il suffit d’ouvrir l’Officiel pour y trouver une matière épique susceptible d’alimenter je ne sais combien de Chansons de Roland ou d’Iliades, et il n’y a pas de bréviaires d’héroïsme qui vaille la lecture de nos journaux quotidiens. Les gestes le plus justement célèbres, les paroles même le plus admirées et le plus citées de nos héros d’autrefois, voilà que les plus obscurs de nos héros de 1914 les retrouvent comme d’instinct, et nous les voyons notés en deux lignes, avec la sécheresse d’un procès-verbal, à la place des insipides faits-divers qui, hier encore, s’étalaient dans nos gazettes. Matière toute chaude d’épopée, s’il en fut jamais ! Ah ! puissent tous ces héros de la grande guerre rencontrer quelque poète qui soit digne de les chanter, digne de perpétuer les émotions journalières que nous éprouvons à lire leurs hauts faits, à nous dire que la preuve est faite de l’impérissable vitalité de notre race !