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de toutes les questions qui s’y rapportent ; elle n’aura pas peur de poser le problème religieux. En un mot, elle sera libre, vivante, humaine, et elle renouera sans effort les plus hautes traditions de l’esprit français. Enfin, elle ne se croira pas tenue d’adopter le jargon obscur que nombre d’apprentis philosophes ont mis à la mode ; elle se souviendra que de bons et même de très grands écrivains français ont été philosophes, et que Descartes, Pascal, Malebranche, Taine et Renan ont aussi une place dans l’histoire de notre littérature. Ainsi renouvelée, retrempée à ses sources profondes, dégagée des influences adverses qui en entravaient le libre développement, la pensée française va retrouver dans le monde des esprits le rang et la dignité que le peuple de France est en train de reconquérir dans le monde des nations vivantes.


IV

Sont-ce bien là les caractères que revêtira la littérature qui, demain, va naître de la guerre ? Évidemment, en pareille matière, les affirmations dogmatiques auraient quelque chose d’un peu puéril, et l’histoire serait trop simple si l’on pouvait ainsi en prévoir à coup sûr les vicissitudes. Ce qui pourtant nous ferait croire que tout n’est pas absolument vain dans les pressentimens, — dans les espérances, si l’on préfère, — que nous venons de formuler, c’est que la plupart des tendances que nous avons analysées, nous les trouvons déjà, plus ou moins nettes, plus ou moins mêlées, dans la littérature d’aujourd’hui ou d’hier ; et nous n’avons eu, pour ainsi dire, qu’à les prolonger par la pensée, qu’à les préciser, et qu’à les projeter dans l’avenir, pour entrevoir les probables destinées prochaines des Lettres françaises. Oui, quelques-uns de ces jeunes gens qui seront les écrivains de demain, et qui, aujourd’hui, combattent l’envahisseur, les armes à la main, — hélas ! plusieurs d’entre eux déjà sont morts, — avaient déjà, avant la guerre, essayé, dans quelques livres, d’exprimer leur personnalité ; et sous les imitations, les gaucheries, les intempérances de la jeunesse, on voyait s’élaborer et s’esquisser leur idéal intérieur. Et comme rien ne naît de rien, en littérature comme ailleurs, cet idéal, ils le tenaient, pour une large part, de quelques maîtres vivans ou morts, dont l’œuvre, issue de la guerre de 1870, avait été de