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égards, si profondément regrettable ? Je le souhaite, je voudrais l’espérer ; mais je n’en suis pas très sûr. Raison de plus, en tout cas, pour revenir, le plus tôt possible, comme le demandait ici même, tout récemment, M. René Doumic, à une discipline spirituelle et pédagogique qui a fait ses preuves, et à laquelle nous devons peut-être la plupart de nos grands écrivains d’autrefois. Le cas des poètes de la Pléiade refaisant leurs études d’ « humanités » et s’enfermant au collège de Coqueret pourrait bien avoir, pour nous Français, la valeur instructive d’un symbole.

L’un des caractères les plus originaux de notre classicisme français a été, après sa ferveur d’humanisme, sa très grande indépendance à l’égard des littératures étrangères. Cette indépendance, assurément, n’a pas été absolue, et si nos classiques ont entièrement ignoré l’anglais et l’allemand, ils ont bien connu la littérature espagnole et la littérature italienne, et ils s’en sont inspirés fort heureusement, à plusieurs reprises. Cependant, on ne peut dire que l’imitation ou l’inspiration étrangères fassent partie intégrante de notre classicisme. D’abord, l’importance des élémens italiens ou espagnols qui sont entrés dans la composition de nos œuvres classiques françaises ne saurait être comparée à celle des élémens gréco-latins. Et, en second lieu, le principe même de notre classicisme était extérieur et supérieur à celui des inspirations d’œuvres étrangères. De sorte que, si les influences étrangères exercées sur notre littérature classique ont été réelles, elles n’ont jamais été que secondaires, et, pour ainsi parler, adventices. Il n’en a pas été de même de notre littérature romantique. Le romantisme est d’origine étrangère. Avant d’être un fait français, c’est un fait européen[1]. Il a mis au premier plan de son programme, non pas l’inspiration antique, mais l’imitation plus ou moins libre des grandes œuvres des littératures modernes, notamment des littératures septentrionales, l’anglaise et l’allemande.


C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière,


s’écriait-il très volontiers. Et si la pratique n’a pas toujours répondu à la théorie, si le romantisme français est, malgré tout,

  1. Objectera-t-on que l’humanisme lui aussi, avant d’être un fait français, est un fait européen ? Et c’est parfaitement exact. Seulement, pour nous Français et Latins, l’humanisme a été comme une tradition de famille retrouvée, à la différence du romantisme qui, à bien des égards, était une rupture avec notre passé. Gallo-Romains que nous sommes, nous prêcher l’inspiration de Virgile ou de Sophocle, ce n’était pas tout à fait la même chose que nous recommander l’imitation de Shakspeare ou de Goethe.