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eux-mêmes le dernier coup à l’Ancien Régime de l’Alsace. L’intervention de l’Empereur en leur faveur est une des causes de la guerre entre la Révolution et l’Europe, et c’est pourquoi l’Alsace a pu voir avec raison dans cette guerre nationale une guerre qui était un peu la sienne, une guerre où elle combattait pour sa propre cause. Quand l’Alsacien Kellermann arrête les Prussiens à Valmy, il sauve à la fois sa grande et sa petite patrie.

Il y a là une des raisons, — peut-être insuffisamment mise en lumière, — de la conquête morale de l’Alsace par la France. Un comte de Ribeaupierre, par exemple, est quelque chose en Alsace, quelque chose de consacré, de respectable, de sympathique. On le trouve dans son château de Ribeauvillé. Quand son héritage passe à un gendre, le comte palatin de Birkenfeld (1673), le lien traditionnel se relâche, et il se relâchera davantage à chaque génération. En 1789, le prince Maximilien, duc de Deux-Ponts, comte de Ribeaupierre, futur roi de Bavière, ne se soucie plus de ses domaines d’Alsace que pour les hypothéquer. Il commence même à dévorer son bien quand il n’en est encore que l’héritier présomptif. « Le prince Max était un bourreau d’argent, dit Mme d’Oberkirch. Le roi Louis xvi avait payé ses dettes, et il en faisait toujours de nouvelles. » Il a des courtiers à l’affût des capitaux à placer. Il a déjà donné en gage son comté de Ribeaupierre du vivant de son père (1782). Des lettres patentes de 1781 l’autorisent à emprunter un million sur ses terres de Basse-Alsace. On se plaint même qu’il n’y en ait que pour lui. Le duc de Wurtemberg, autre possessionné de marque, embusqué à Montbéliard, est à la recherche de 15 000 livres en 1782, et ne les trouve pas. Le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, est également criblé de dettes et, lui aussi, ne réside guère dans sa province.

Il n’en allait pas ainsi un siècle auparavant. Encore en 1718, l’intendant signale que le comte de Hanau vient de séjourner six mois dans ses terres d’Alsace et y a dépensé les 250 000 livres de rente qu’il en tire. Les possessionnés, en perdant contact avec l’Alsace, ôtent toute raison de durer aux vieilles coutumes de l’époque du Saint-Empire. Ils ont travaillé à s’éliminer ; ils ont simplifié la situation : ils ont préparé l’unification de l’Alsace à laquelle ils étaient le principal obstacle. Quand il fallut constituer des districts, en application de l’Édit royal du