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ensemble de bons instans à nous communiquer nos impressions, ce qui m’était impossible avec About, qui courait de-ci et de-là, papillonnant à droite et à gauche, parlant à l’un, lâchant l’autre, et ayant, par sa démarche pressée et ses mouvemens précipités, l’air d’avoir envie de satisfaire quelque petit besoin. Quelle toupie hollandaise que ce garçon ! Il se cogne à tous les gens, abat toutes les quilles, renverse le quatre-cents, puis revient, repart ensuite, toujours bourdonnant et tontonant, plein de gaieté, de verve et d’entrain.

« Vers onze heures, j’ai une grande conversation avec le Roi, qui me demanda mon état, mes impressions sur la Grèce, mon avis sur l’architecture. Il fut pour moi charmant, je le fus aussi pour lui, bien que j’abusai un peu du mot Monsieur, et sans doute pas assez de celui de Majesté ou de Sire. Dame ! c’était mon premier entretien avec une tête couronnée, je n’étais pas encore bien au courant.

« Après cela, nous descendons au buffet, faisons un carnage sur les vins de Bordeaux et le punch ; nous sommes aimables avec les dames et leur passons des provisions, et je remonte faire le cotillon avec une jeune Grecque très jolie, que j’avais déjà deux fois débarrassée de sa soucoupe à glace. Le cotillon se passa très bien et gaiement ; le brave Roi vient me chercher deux fois pour les figures, me parle encore parmi tout cela ; je le traite comme un ami, nous sommes au mieux ensemble. Mais il n’est meilleure compagnie qui ne se quitte. A trois heures, nous laissons le bal, nous quittons la frégate ; mais, ne pouvant trouver de voiture, nous revenons à pied du Pirée à Athènes. Le temps était beau ; nous fumons force cigares, et, causant de l’un et de l’autre, nous arrivons à l’Ecole un peu avant cinq heures. Un quart d’heure après, l’ami du Roi dormait d’un profond sommeil. »

Le croquis d’About, dessiné tandis qu’il observe et saisi sur le vif pendant qu’il essaie lui-même de noter le spectacle dont il donnera plus tard le tableau dans son propre livre, ne manque ni d’intérêt ni d’agrément. Il y en aurait plus encore au récit de la longue excursion que les deux amis entreprirent, dès le 1er mai, en compagnie du peintre paysagiste Alfred de Curzon ; mais si Charles Garnier entama ce récit, il ne le mena pas au-delà des deux premières étapes. Dans ses heures d’isolement et d’ennui à Égine, Garnier se promettait bien de ne plus