Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gloire, les soirs paisibles, « les soirs sereins et beaux, » qui nous donnera de réentendre, las de certains chefs-d’œuvre étrangers et terribles, quelques-uns de nos aimables chefs-d’œuvre : le Déserteur et Richard Cœur de Lion, la Dame Blanche et le Pré aux Clercs ! Dans son livre de Lutèce, un Allemand, qui avait honte de l’être, Henri Heine, a parlé du Déserteur en ces termes : « Voilà de la vraie musique française ! La grâce la plus sereine, une douceur ingénue, une fraîcheur semblable au parfum des bois, un naturel vrai, vérité et nature, et même de la poésie. Oui, cette dernière n’est pas absente ; mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux, sans amertume, sans ironie, sans morbidezza, je dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. » Impossible de mieux dire, à quelques mots près, car on ne saurait sans injustice refuser à la vraie musique française à celle que goûtait Henri Heine, l’ironie parfois et, plus souvent encore, le charme mystérieux. Oh ! sans doute innocente ironie, mais dont le Déserteur même offre un exemple, ou plutôt un exemplaire spirituel : je pense à la figure, plaisamment paysanne et niaise (en musique même, ou par la musique, témoin la chanson du second acte), de Bertrand, le « grand cousin. » Et le mélange de cet élément villageois avec l’élément militaire donne à l’opéra-comique de Monsigny, dans le temps où nous sommes, une saveur plus piquante, un air de vérité nouvelle ou renouvelée. Simple, et même naïve, avec cela vaillante, héroïque, toujours prête à s’épancher, quand elle se confie, en propos ingénus ou sublimes, qui font sourire ou pleurer, nous retrouvons l’âme de nos soldats paysans dans cette petite et vieille musique de France, pas si petite pourtant, ni si vieille, puisqu’on y sent encore battre le cœur, plus grand et plus jeune que jamais, de la France elle-même.

Parlant toujours de la douce France, ou plutôt après en avoir parlé, M. René Bazin ajoutait : « Mais la douceur n’est pas faible. Elle n’est pas timide. La Douceur est forte. » Les « endroits forts, » comme disait le Président de Brosses, ne sont pas rares dans l’aimable partition de Monsigny. Ce n’est pas seulement par l’âge que le Déserteur est le premier de nos opéras-comiques militaires. Il le demeure aussi par le naturel et la sincérité des sentimens, quelquefois par leur énergie et presque par leur grandeur. Autant il y a d’insouciance et de joie légère dans le rôle du brigadier Montauciel, autant Alexis, le principal personnage, se montre sérieux, pathétique même. Sur la scène de notre Opéra-Comique il en est souvent ainsi : parmi de mélodieuses figurines, un héros lyrique surgit. Héroïque, il n’y a pas