Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répugnait à la musique. Dans l’ensemble et dans le détail, le musicien de la Dame Blanche l’a rendu musical. Et puis et surtout il a fait de ce finale un exemplaire achevé d’un art familier et prochain, d’un style moyen, très français par l’accent, ou la saveur, non pas d’un vulgaire, encore moins d’un grossier réalisme, mais de la simple et cordiale vérité.

Fort différent est le caractère, et l’attrait d’un autre de nos petits chefs-d’œuvre, le Pré aux Clercs. En le relisant à l’heure où nous sommes, on en goûte moins la vivacité, la verve, que la rêveuse, attirante tristesse. Presque tout l’ouvrage, — unique à cet égard dans le répertoire de l’Opéra-Comique, — est imprégné d’une mystérieuse mélancolie. Elle s’exhale quelquefois non pas même d’un acte entier (comme le troisième), ou d’une scène, ou d’une page, mais d’une phrase, mais de quelques mesures seulement. Dès le début de l’ouverture, après un essai de fugue, — oh ! bien modeste et vite abandonné, — c’est une plainte que la clarinette soupire, et par la voix de ce « beau soprano instrumental, » comme l’appelait Berlioz, on croit en effet entendre une voix féminine chanter. Fût-ce en des chœurs, en des refrains de cabaret, de noce ou de fête, sur les lèvres d’Isabelle, de Nicette ou de la Reine, partout le sourire même de la musique d’Hérold est celui que le vieil Homère a mouillé de pleurs. Ou plutôt, c’est la parole, elle seule, qui sourit, alors que la musique est près de pleurer. Que de phrases, de répliques brèves, mais pleines de sens et de sentiment, nous la montreraient, cette musique, pensive, grave, et toujours inclinée, en quelque sorte, du côté du mystère. D’un bout à l’autre du dernier acte, elle se penche encore plus avant, et jusque sur l’abîme de la mort. La mort y règne en maîtresse. Ici faible et tremblante, osant à peine rompre le silence, la musique en trahit l’approche ; là, rude et brutale, on dirait qu’elle la défie et la méprise ; enfin, sombre et sinistre, elle la salue et lui fait escorte. Ah ! qu’elle porte loin dans nos cœurs, la musique française, en des jours comme ceux que passe la France, ou plutôt, et par bonheur, qu’elle a déjà passés ! Quelles résonances profondes, inattendues, elle y éveille ! Un soir, ou mieux une nuit, l’une des premières de septembre, obscure et solitaire, un promeneur suivait les quais de la Seine, en face du Louvre. Son regard embrassait le décor même du Pré aux Clercs, le merveilleux paysage de pierre et d’eau, mais réel, et combien plus admirable, surtout plus tragique alors, en sa réalité ! Alors, hélas ! on pouvait tout craindre. Alors, inquiet et silencieux, chacun de nous, Parisiens, aimait notre Paris,