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« Français, dira-t-on, les Auber, après les Hérold, les Boieldieu, voire les Grétry, mais Français d’autrefois, et maîtres, petits maîtres d’un art, ou d’un genre aboli sans retour. Plus ambitieux désormais, nous aspirons aux cimes. Nous n’avons plus et nous dédaignons d’avoir une musique tempérée, moyenne, où puisse se reconnaître, avec complaisance, la France que vous appelez douce. » En vérité, ce serait dommage et, par bonheur, ce n’est pas la vérité. Il y a toujours une musique française qui se tient et que l’on peut suivre, en quelque sorte, au penchant des coteaux. Si nous achevons de longer leur chaîne harmonieuse, que d’échos éveilleront nos pas ! Que d’aspects familiers, que de chers horizons retrouveront nos yeux ! Depuis cinquante années, et de nos jours encore, cette musique-là continue de nous prodiguer les paysages et les portraits, ou les caractères, les exemplaires en quelque sorte moyens de la nature et de l’humanité. Ne suffit-il pas de nommer Gounod, pour témoigner de la douceur de la France, de la France qui chante, et pour évoquer les sons les plus tendres que jamais peut-être ait modulés sa voix ! Mais que le musicien d’amour ne fasse pas oublier le musicien d’esprit. Depuis le Tableau parlant de Grétry, le Médecin malgré lui pourrait bien être notre seule comédie lyrique, la seule au moins qui soit autre chose qu’un pastiche, la seule où la musique, non contente d’imiter l’apparence et la surface du génie de notre Molière, en ait compris, exprimé le fond et l’essence même. Comédie encore, plus ténue et plus légère, mais d’une grâce ailée, le délicieux ouvrage de Léo Delibes, le Roi l’a dit ; charmant tableau de famille, et d’une famille, en musique ; petit chef-d’œuvre, dans un genre dont les deux grands chefs-d’œuvre, l’un et l’autre italien, furent autrefois le Matrimonio segreto et Falstaff il y a quelque vingt ans.

Faut-il nommer les deux héroïnes les plus populaires et peut-être les plus françaises, bien que l’une soit espagnole, de notre opéra-comique moderne ? de Manon comme de Carmen, on a tout dit, et si souvent, qu’il suffit en effet de les nommer. Une troisième, Louise est venue les rejoindre, sans les égaler. En voici deux encore, bien nôtres aussi, deux figures de femmes, de sœurs, qu’a réunies ou plutôt opposées, comme sur les deux faces d’une médaille, le musicien méconnu longtemps, à la fin glorieux, du Roi d’Ys. Au premier rang de nos œuvres nationales, celle-là mérite de figurer. Par la précision et la concision, par la justesse du trait, par l’épargne des moyens et la sûreté des effets, nous n’avons pas de musique plus française que la musique d’Edouard Lalo.