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où le compositeur de Louise a su mêler à tant de réalité tant de poésie, d’idéal et d’amour. Quelle joie, quelle consolation nous est donnée, en parcourant cette musique, toute cette musique française, de constater qu’il n’y manque rien, ni personne, de la France. Nos femmes, nos soldats, jusqu’à nos enfans, tous y sont représentés honorés et chéris. Oui, nos enfans eux-mêmes, j’en atteste celui qui s’est fait leur musicien religieux et tendre, l’auteur de la Croisade des Enfans et des Enfans à Bethléem, M. Gabriel Pierné. Remercions-le, surtout aujourd’hui, de nous les avoir montrés, ces petits Français imaginaires, non seulement pleins d’innocence, de grâce et de malice, mais fervens, intrépides, sublimes, frères enfin de tant de héros de quatorze ans, de douze ans, véritables ceux-là, qui n’ont pas craint de souffrir et de mourir pour la France. Petits Français, disons-nous. Mais, dans la Croisade au moins, petits Flamands aussi. Et ce nous est une raison de plus de goûter cette musique et d’être émus par elle, qu’elle chante et qu’elle glorifie ensemble les plus jeunes martyrs de l’une et de l’autre patrie.

Voici que l’espace va nous manquer, et nous aurions à dire encore. Nous aimerions de rappeler deux partitions récentes et vraiment nationales toutes deux : le Marouf de M. Henri Rabaud, qui fut à l’Opéra-Comique, avant la guerre, le dernier sourire de la musique française ; la Pénélope de M. Gabriel Fauré, si française également et de tant de manières : par la sobriété, la mesure et l’exquise élégance, par la délicatesse autant que par la profondeur, enfin, — signe plus précieux encore aujourd’hui, — par le sentiment qui soutient l’œuvre entière, et l’anime : une longue, mais fidèle, mais invincible espérance.

A la fin de son cours sur Racine, et pour conclure, Jules Lemaître, citant Gérard de Nerval, comparait les tragédies raciniennes à des jeunes filles qui dansent en rond sur la pelouse en chantant des airs d’autrefois. Avec le grand écrivain que nous aimions, et presque dans les mêmes termes, nous dirons des œuvres musicales plus modestes, mais non moins nationales, que nous venons d’évoquer : « Elles dansent en rond sur la pelouse en chantant des airs, jeunes ou vieux, mais d’un français si naturellement pur, que c’est en les écoutant qu’on se sent le mieux vivre en France, avec le plus de fierté intime et d’attendrissement. »


CAMILLE BELLAIGUE.