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il nous parlait tout à l’heure et vingt autres vertus brusquement révélées au fond de l’âme russe, n’en conserve pas moins un certain élément de respectueuse sympathie envers l’Allemagne. Le correspondant du Times a beau entendre, à chaque instant, des récits d’ « atrocités » commises par les troupes allemandes : il se refuse obstinément à y croire, et va même jusqu’à faire valoir, contre elles, le témoignage de prisonniers allemands avec lesquels il s’est entretenu. Aussi bien ne se lasse-t-il pas de causer avec les prisonniers qu’il rencontre à tous les coins de sa route ; la connaissance qu’il a de leur langue, — tandis que, suivant toute probabilité, il sait à peine quelques mots de la langue russe, — lui permet de se procurer là un « divertissement » précieux : et le spectacle de la détresse présente de ces pauvres gens contribue encore à l’empêcher de se montrer trop sévère pour aucune des manifestations de leur fameuse « culture » nationale. Ses éloges des qualités militaires, ou simplement « humaines, » du soldat russe sont loin d’avoir l’allure spontanée, l’abandon enthousiaste des belles pages de M. Stephen Graham que je citais ici l’autre jour ; nous devinons que chacun de ces éloges a été précédé, chez lui, d’un conflit inconscient entre son instinct naturel de justice et d’anciennes habitudes de défiance, à l’endroit d’une race longtemps tenue pour « barbare. »


Mais d’autant plus les éloges de M. Washburn ont pour nous de poids, — avec la pleine confirmation qu’ils apportent, en fin de compte, à ceux de M. Graham, et à ceux aussi d’autres observateurs, anglais ou français, dont on pourrait semblablement mettre en doute l’entière impartialité. Nul moyen de concevoir un soupçon du même genre au sujet des peintures ou des jugemens du journaliste américain ; et lorsque, après cela, nous voyons celui-ci de plus en plus étonné des trésors d’habileté stratégique, d’intrépide courage, de tendre et généreuse compassion chrétienne qu’il découvre autour de soi dans l’armée russe à tous ses degrés, lorsque nous l’entendons nous affirmer, avec un accent de conviction toujours plus marqué de chapitre en chapitre, qu’à leur éminente maîtrise guerrière les troupes du grand-duc Nicolas joignent encore d’incomparables attributs d’héroïsme individuel et d’une magnanimité toute « chevaleresque, » force nous est de prendre au sérieux non seulement ces assertions elles-mêmes, mais aussi la « version » plus « lyrique » sous laquelle nous les trouvons reproduites dans le livre du « russophile » M. Stephen Graham.