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fausse et que ce genre de littérature nous fait à l’étranger le plus grand tort ?

Mais nous ne sommes pas dans un temps ordinaire. La société française donne, depuis le début de la guerre, un exemple de cohésion, d’énergie et de résistance dont aurait été bien incapable la veulerie de mœurs que peignaient nos légers auteurs dramatiques. Les hommes qui semblaient le moins désignés pour les besognes héroïques, font tous les jours preuve du courage le plus digne d’être admiré, le courage simple, sans phrases, modeste. Quant aux femmes, pas plus dans la bourgeoisie que dans le peuple il n’en est une seule qui se désintéresse de la souffrance commune et qui n’y apporte toutes les ressources de son ingéniosité, toutes les forces de son âme aimante et qui ne sait plus aimer que le cher pays. Ce n’est pas le moment de dénigrer tous ces braves gens. Certes, la France a gardé dans l’épreuve cette gaieté qui est une de ses plus nobles traditions ; mais cette gaieté généreuse, qui est une force et qui fait les héros, n’a rien de commun avec la plaisanterie qui s’égaie des faiblesses de notre nature et badine avec les trivialités de la vie quotidienne. Trop de gens sont en deuil : ce n’est pas le moment de rire… Je sais bien que la petite drôlerie de M. Sacha Guitry ne tire pas à conséquence : c’est ce qu’on en peut dire de mieux. D’ailleurs, elle n’a pas fourni une longue carrière.


Je n’étonnerai personne en notant que la presse, presque tout entière, s’est montrée indulgente, plus qu’indulgente, élogieuse pour cette pièce en dépit des circonstances où elle a été jouée. Tels sont les rapports, établis de longue date, entre le théâtre et les journaux, et tellement l’habitude est prise de la complaisance ! Il s’est même trouvé des critiques pour féliciter M. Sacha Guitry et l’encourager… à continuer ! Inversement, et par un de ces retours de justice distributive dont elle est coutumière, la même presse qui a fait fête à la pièce gaie de M. Sacha Guitry a réservé toutes ses sévérités pour la pièce douloureuse de M. François Fonson, la Commandantur, jouée au Gymnase. Je souligne le contraste parce qu’en aucun temps le bon sens ne doit perdre ses droits. M. Fonson est un écrivain belge, et cela seul suffirait à lui mériter notre sympathie. Il a contribué, avant la guerre, à resserrer les liens entre France et Belgique, puisqu’il a introduit en France le théâtre belge. Grâce à lui, l’esprit français a donné l’accolade à la verve et à la belle humeur wallonnes. Le Mariage de Mlle Beulemans et la Demoiselle de magasin ont été chez nous des