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les sympathies de la jeunesse. Dans ses premiers livrets de manière stendhalienne que M. Bourget signala au public par l’article fameux : « Avez-vous lu Barrès ? » il avait mis toutes les qualités de son esprit : sa vive et fine intelligence, sa pénétration psychologique, son goût des idées, sa recherche des petits faits significatifs, son ironie très distinguée, un peu hautaine, son art d’une sobriété qui confine à la sécheresse. Bientôt il entendit la voix de son cœur : elle lui enseigna que l’égoïsme est stérile, que, la notion du moi est vaine et décevante, que chacun de nous est l’anneau, d’une chaîne, l’héritier d’une tradition. Depuis lors, ce n’est pas assez de dire qu’il n’a plus varié et qu’il est resté fidèle à cette tradition : il a mis toutes les ressources de son talent à en propager le culte : il en a combattu les ennemis avec cette âpreté de raillerie qui fait merveille dans Leurs Figures ; il lui a recruté parmi les jeunes gens des apôtres qui allaient devenir des héros. Charles Péguy, Ernest Psichari, François Laurentie, André Lafon avaient recueilli ses leçons ; leur enthousiasme dans le sacrifice montre assez quel éducateur il avait été pour eux : il a contribué à faire lever sur notre sol la glorieuse moisson. La guerre l’a trouvé qui revenait d’Orient où il était allé mener une enquête sur nos écoles en péril et notre influence menacée. Il avait encore eu le temps d’écrire, au sortir des séances de.la Commission d’enquête, ces pages vengeresses : Dans le Cloaque, — boue et sang, — contre les mauvais maîtres qui déshonoraient la France. Ainsi, il était tout désigné pour un rôle qu’il ne s’est pas choisi, mais qu’il a reçu des événemens, qui n’est pas un rôle, mais l’expression d’une situation. Chaque matin, dans des articles où il met toute l’ardeur et toute la clairvoyance de son patriotisme, il traduit les sentimens de la France qui lutte, qui souffre, qui espère et qui, par sa volonté de vaincre, prépare et assure la victoire. Cet accord avec l’âme de son pays, c’est à coup sûr pour un écrivain le plus grand honneur et la plus belle récompense.

La doctrine qui se développe à travers les livres de M. Barrès est d’une forte cohésion et d’une solidité parfaite. C’est celle de la continuité qui fait les nations et s’impose aux individus : une même race, implantée sur un même sol, et façonnée par l’histoire. Nous sommes les héritiers de tous ceux qui nous ont précédés : ils vivent en nous, et ils y sont plus vivans que nous-mêmes : leur effort prolonger à travers les siècles, s’exprime aujourd’hui par nos instincts et par nos goûts, par notre tempérament physique et moral, par tout ce qui nous semble être en nous le plus naturel, et le plus spontané. Cette