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s’apprêtait à faire : elle a inventé pour cela une sorte de procédure qui consiste à annoncer que les autres ont déjà usé contre elle du procédé dont elle se propose d’user contre eux. Ses journaux ont prétendu un jour que les Alliés avaient employé des gaz asphyxians : c’était dire qu’elle allait en employer elle-même et elle n’y a pas manqué. Nous n’y étions pas préparés ; la surprise s’est mêlée à la souffrance physique ; nos soldats suffoqués, éborgnés, sentant le feu pénétrer dans leurs poitrines à la place de l’air respirable, étouffés et n’y voyant plus, ont dû reculer. C’est ainsi que l’armée allemande a conquis sur nous un peu de terrain, que nous n’avons d’ailleurs pas tardé à lui reprendre : à peine a-t-elle conservé pour quelque temps une tête de pont sur l’Yser. Quant à ses pertes, elles ont été très élevées : on parle de 12 000 tués. Des succès si peu durables sont vraiment payés bien cher ! Mais les Allemands en font grand bruit et ils s’empressent d’annoncer au monde qu’ils viennent de remporter une grande victoire. Quelque passager qu’il soit, c’est cependant un avantage : on peut calculer le nombre de mètres que les Allemands ont gagné. Que dire, au contraire, du bombardement de Dunkerque ? Quelle en est l’importance militaire ? Quelles conséquences peut-on en tirer ? Dunkerque, un jour, a reçu des obus dont on n’a pas su d’abord d’où ils venaient. Était-ce de la mer ? Etait-ce de la terre ? On a cru au premier moment qu’ils venaient de la mer, quoiqu’il fût a priori bien peu vraisemblable que la flotte anglaise n’eût pas aperçu les navires bombardeurs, s’il y en avait eu, et n’en eût pas fait justice. Mais aussi quelle apparence que les obus vinssent de la terre, alors que l’ennemi était à plus de 30 kilomètres ? Ils en venaient pourtant. Les Allemands ont, paraît-il, un canon phénomène, qui porte à 37 kilomètres des obus assez puissans pour avoir démoli quelques maisons et tué une vingtaine de personnes. Au point de vue militaire, le fait n’a pas plus d’intérêt que les destructions ou les meurtres provenant d’un avion ou d’un zeppelin ; mais, au point de vue moral, les Allemands espéraient en tirer grand parti, et tous leurs journaux en ont retenti. La seule conséquence est qu’ayant constaté que Dunkerque était dans la zone dangereuse, nous avons dû prendre quelques précautions qui, jusqu’à ce moment, avaient paru inutiles. Mais personne n’a imaginé, en dehors de l’Allemagne, que la situation générale pouvait en être changée.

Les événemens militaires qui se sont passés en Galicie et dans les Carpathes, ont eu un caractère plus sérieux : l’importance, toutefois, en a été au premier moment si fort exagérée que les Allemands