Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de punir les complices des assassins de l’archiduc. — Un pareil langage traduisait dans sa modération l’opinion générale.

Mais l’Empereur, ami personnel de l’archiduc, de quelle façon retentissante son chagrin et sa colère allaient-ils éclater ? Tous les yeux étaient tournés du côté de Kiel, où la fatale nouvelle atteignit Guillaume II, tandis qu’il prenait part, à bord de son yacht, à une course de bateaux à voile. Il changea de visage et on l’entendit murmurer : « Tout l’effort de ma vie depuis vingt-cinq ans est donc à recommencer ! » Paroles énigmatiques qu’on peut interpréter de diverses manières. A l’ambassadeur d’Angleterre, qui se trouvait aussi à Kiel avec l’escadre britannique revenant de la Baltique, il dit cette phrase plus significative : « C’est un crime contre le germanisme. Es ist ein Verbrechen gegen das Deutschtum. » Ces mots annonçaient probablement que l’Allemagne, se croyant lésée par le crime de Serajevo, en poursuivrait le châtiment, en se solidarisant avec l’Autriche. Mais Guillaume II, plus maître de soi qu’à l’ordinaire, ne se laissa pas aller en public à d’autres manifestations verbales.

Sa venue était annoncée à Vienne pour les obsèques de l’archiduc. Quels motifs l’empêchèrent-ils d’apporter au défunt ce dernier témoignage d’une amitié qui, de politique, était devenue réelle et même sentimentale, avec une nuance de protection habituelle à l’Empereur ? Il prétexta une indisposition, mais sans doute fut-il écœuré des misérables chicanes d’étiquette, au moyen desquelles le grand maître de la Cour, le prince de Montenuovo, refusa de donner un éclat convenable aux funérailles de l’héritier du trône et de sa femme morganatique. Dans ces conditions, on ne devait désirer à Vienne ni la présence de Guillaume II, ni ses critiques.

L’Empereur partit, dès le commencement de juillet, pour sa croisière accoutumée sur les côtes de Norvège, et nous respirâmes à Berlin. S’il s’éloignait ainsi paisiblement du continent, c’est que l’orage près de fondre sur la Serbie s’éloignait aussi de la vallée du Danube. Telle fut, j’imagine, la pensée du gouvernement britannique, qui ne renvoya pas à Berlin son ambassadeur déjà en congé. D’autres diplomates, parmi lesquels l’ambassadeur de Russie, prirent comme d’habitude leurs vacances annuelles. Mais l’Empereur, au fond des fiords norvégiens, était tenu au courant du coup de théâtre machiné en secret par le