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n’essayons pas de cacher nos larmes. Aux portières, aux fenêtres, les têtes se pressent, les mains des enfans se tendent, tenant leurs jouets ou leurs drapeaux, les mouchoirs s’agitent, des cris s’élèvent : « Vive la Suisse ! » Je vois défiler les wagons, lentement ils passent. Et voici la voiture garnie de fleurs, fleurs des champs, coucous jaunes… leur petit bouquet à la main, les demoiselles « indésirables » crient plus fort que les autres leur enthousiasme et leur remerciement.

Ce matin, M. l’ambassadeur de France, qui m’avait fait l’honneur de m’accompagner hier depuis Berne, a annoncé son intention d’adresser officiellement des remerciemens au représentant du Conseil fédéral. Dans la salle d’attente des premières, nous nous réunissons. En paroles émues et sincères, M. Beau assure la Suisse et la ville de Zurich de la reconnaissance française. Certes, jamais gratitude n’eut meilleure raison de s’exprimer !


De bonne heure, sous une bourrasque de grêle, un express m’emporte vers Fribourg. Pâques est passé, mais la campagne est blanche, et, lorsqu’une éclaircie me fait voir les sommets, jamais bien éloignés en Suisse, ils sont aussi chargés de neige qu’en plein hiver. Dans mon wagon, je passe en revue tant d’impressions diverses, et je constate qu’elles se fondent en une seule, lumineuse et haute comme ces montagnes proches. La guerre allemande a produit cet effet, de dévoiler au monde « leur » nature. La guerre française a produit celui-ci : de remettre à sa vraie place la nôtre, et le résultat le plus net, je viens de le voir : la sympathie des honnêtes gens est avec nous. Un officier suisse, à qui j’exprimais hier mon admiration pour la générosité magnifique de ses compatriotes, m’a répondu ceci : « La France ? Nous lui devons bien cela ! Elle se bat bien aussi pour nous… » Pour le droit, pour la liberté, pour la Justice éternelle, qui ne sera pas impunément méconnue.

Je regarde la carte postale que les dames de Zurich distribuaient à nos évacués, « en souvenir, » disaient-elles. Le drapeau suisse, croix blanche sur champ rouge, en fait le premier plan dans toute sa largeur. Le fond, chargé de lueurs d’incendie, figure un village qui brûle et, tout en avant, passant sous l’étendard suisse pour pénétrer en France, un train ramène nos