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que les cigarettes ou les cigares Joffre, aux trois couleurs bien en vue. Et le drapeau français voisine partout avec le drapeau suisse.

Voici le premier coup de sifflet. Il faut interrompre la conversation commencée avec une brave paysanne venue de Meurthe-et-Moselle. Elle a été chassée, celle-là, par le canon français : « La veille de notre départ, un obus est tombé sur la maison ! »

Je rapproche ce renseignement de celui que me donnaient, il y a deux jours, les habitans d’un village voisin : « Les obus français tombent à deux kilomètres… » Voilà l’avance constatée par le fait, indéniable, lente, mais sûre comme la marche du bon droit.

Le train s’ébranle. Encore une fois, j’assiste à cette chose poignante qu’est le départ d’un convoi. Les visages émus aux portières, les drapeaux aux mains des enfans, les cris répétés qui se croisent : « Vive la Suisse ! Vive la France ! » Sur le quai, la foule n’a pas bougé. Son attitude grave répond à nos pensées. Les bras se tendent cependant, les têtes se tournent, les yeux voilés de larmes suivent le train qui s’éloigne : les cœurs sont avec lui. Et les âmes ont éprouvé une union plus réelle, plus intime, que des paroles n’auraient su la produire, ni l’exprimer.


L. CHAPTAL.