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têtes bandées dans les voitures qui passent. Au théâtre et au concert on aperçoit des uniformes, et ceux qui les portent doivent, en général, attendre que la salle soit vidée pour sortir en clopinant, appuyés sur un bras secourable. La plupart des blessés sont très jeunes, et c’est l’expression de leur visage que j’aimerais à peindre et à interpréter comme étant l’essence même de ce que j’appelle : le visage de Paris. Ils sont graves, ces jeunes visages ; on entend beaucoup parler de la gaieté dans les tranchées, mais les blessés ne sont pas gais. Ce n’est pas dire qu’ils soient tristes. Ils sont calmes, méditatifs, étrangement épurés et mûris : la grande épreuve par laquelle ils ont passé semble les avoir purifiés de toute petitesse, de toute frivolité. Elle paraît les avoir pénétrés jusqu’à la moelle, s’emparant de la substance même de leur âme, pour la modeler en quelque chose de si fort, de si magnifiquement trempé que, de longtemps, la physionomie de Paris ne voudra devenir indigne de la leur.


EDTTH WHARTON.

(Traduit par Mlle Madeleine Rolland.)