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qui cache les fourgons des télégraphistes aux vues de l’ennemi. Contre les murs, des soldats belges et français, agens de liaison, estafettes, se tiennent cois et clapis ; car les échanges de canonnades ne s’interrompent guère. Chaque seconde, on attend que le ciel vitreux se fêle, se brise comme un cristal trop délicat pour cet ébranlement formidable et perpétuel. On se retourne pensant voir l’air se rider au passage des ondes sonores. Elles froissent le vent. La détonation des pièces, le vol bruissant des gros projectiles, leur chute et leur explosion, déterminent une série de fracas très distincts qui marquent les temps de ce drame lointain joué entre l’espace profond et les terres plates, grises, infinies. Le ciel de Dixmude tonne contre le ciel de Nieuport, par-dessus la mer des guérets, où émergent quelques maigres boqueteaux, quelques métairies éparses, basses, comme si, elles aussi, craintives, voulaient se tapir contre le sol. En l’une, nos artilleurs se dissimulent, attentifs, le long et à l’intérieur des bâtimens. Ils pompent, de plus, l’eau dans la cour. Ils jouent aux cartes dans le fournil. Ils achèvent leur lessive, et l’étaient sur la haie. Ils aident la fermière. Le lieutenant a fait un signe. La porte de la grange s’ouvre. Un énorme, un haut canon nous apparaît dans l’ombre avec ses accessoires, ses caissons, ses plans inclinés, ses huit servans à leur poste, et qui surgissent du foin odorant où ils reposaient. En un instant, ils peuvent obtenir de leur pièce l’inclinaison voulue par les nombres du goniomètre, lui faire cracher, avec sa longue flamme rougeâtre, l’obus percutant, capable, à deux lieues, de disperser une compagnie, de démolir une maison, de couper un convoi, de bouleverser une redoute, Vraiment respectueux, le lieutenant nous présente à lui, pour ainsi dire. Juché sur son affût gris, le monstre tend son long col et sa gueule béante vers le ciel entre les vantaux du porche rustique. Ils se sont déjà refermés sur le mystère de cette force invisible pour les tauben, dans sa nef de briques, de poutres et de tuiles. Paisiblement, les paysannes vont traire les vaches ; c’est l’heure.

Il faut ensuite traverser un champ clos de haies et d’arbustes. Un cratère récent y baye. Les observateurs allemands ont l’œil braqué sur ce point qu’ils bombardent dès qu’un groupe s’y montre. Crâne et impérieux, le lieutenant nous promet le salut immédiat de l’ennemi. Aussi nous tenons