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présentent, grâce à l’enquête du Coroner, grâce au débat engagé devant les Communes, d’une manière fort différente, et certains points sont tirés parfaitement au clair.

La vitesse du paquebot géant était, au moment du torpillage, fixée entre 17 et 18 nœuds, au lieu de 25 que pouvait donner le bâtiment. Le capitaine Turner explique qu’en réduisant ainsi son allure, il avait l’avantage de franchir, le lendemain, la barre de la Mersey à haute mer, sans être obligé de stopper pour attendre l’heure favorable. Il eût été fâcheux, évidemment, d’être obligé de stopper ; mais il l’était davantage encore de ralentir sa marche dans les parages critiques. Notons que, depuis la fermeture du canal du Nord, débouché ordinaire des ports septentrionaux de la mer d’Irlande, on ne signalait plus de sous-marins aux atterrages de Liverpool. Au contraire, de nombreuses attaques toutes récentes marquaient leur présence entre les Scilly et la côte Sud d’Irlande. Le commandant de la Lusitania fut donc mal inspiré. Il le fut d’autant plus qu’arrivé trop tôt devant la barre de la Mersey, il n’était nullement obligé de stopper. Rien ne l’empêchait de faire, à bonne vitesse, « des ronds dans l’eau. » On conviendra qu’une dépense supplémentaire de charbon était bien peu de chose à côté de la perte de la Lusitania et de 1 500 vies humaines.

Mais, au fond, — et c’est là une excuse plus valable, — le capitaine Turner admettait, avec beaucoup de marins des deux côtés de la Manche, qu’une vitesse de 17 à 18 nœuds devait le mettre à l’abri des entreprises des sous-marins allemands. Malheureusement, c’était encore une erreur contre laquelle on ne saurait trop s’élever, justement parce qu’elle est plus répandue et qu’elle est le résultat de l’ignorance qui règne au sujet des facultés des nouveaux submersibles de nos ennemis aussi bien que de celles de la torpille automobile qu’ils emploient. Je ne puis traiter aujourd’hui, d’une manière complète, cette question technique. Qu’il me suffise de dire que les bâtimens, dont il s’agit (U27, etc.), peuvent atteindre 20 nœuds en surface et que rien n’empêchait donc l’un d’eux de se tenir « à la hauteur » de la Lusitania[1] autant qu’il était nécessaire pour ses opérations de reconnaissance, de repérage de route et de

  1. La mer était très belle, ca qui permettait au petit bâtiment de conserver une vitesse assez voisine de sa vitesse d’essais, au moins pendant le peu de temps nécessaire à ses opérations de repérage.