Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humaine, c’est-à-dire soumise à toutes les erreurs ou les fantaisies de l’homme, jouit toujours d’un prestige extraordinaire auprès des archéologues, et malgré tant d’exemples propres à les éclairer, les savans, n’ayant point de fantaisie, ne permettent pas à l’artiste d’en avoir.

Au fait, quel est cet artiste ? Tournons-nous vers la tapisserie d’en face, l’Arbre de Jessé : nous allons peut-être le savoir. C’est une curieuse vision que cet arbre de Jessé : des docteurs graves, barbus, coiffés de bonnets surprenans, ont grimpé dans un arbre, où ils se tiennent comme ils peuvent, empêtrés qu’ils sont dans des robes somptueuses, assis à califourchon, agitant des bâtons comme pour gauler des fruits invisibles, et si l’œil descend jusqu’au pied de l’arbre pour voir où il prend racine, on s’aperçoit qu’il pèse, de tout son poids, sur la poitrine d’un vieillard endormi, à la barbe admirablement peignée, et semble ainsi le rêve d’un patriarche épris de postérité. C’est le triomphe de la passion nobiliaire. A l’époque où ce fut imaginé, il fallait, même à Dieu, une généalogie terrestre flatteuse, et tous ces rois de Juda, coiffés de la corne d’abondance de Dschem ou du chaperon de Charles VIII, décorés de chaînes d’or comme Ludovic le More, ou portant des crevés, à leurs manches, comme François Ier, quelques-uns cachant leur sceptre derrière leur des ou le tenant renversé pour témoigner que leurs règnes ont eu des malheurs, les David, les Salomon, les Roboam, les Abias, ne sont, là, groupés, que pour faire honneur à la Vierge, « la Vierge royalle, » comme le dit l’inscription sous le patriarche endormi.

Or, si l’on regarde, avec attention, le plus désinvolte d’entre eux, Aza, qui discourt en maniant son sceptre comme une baguette d’escamoteur, on aperçoit sur le bas de sa robe, en bordure, sous des ramages d’un bleu pâle, ces lettres tissées en rose : LE MAIRE INA On admet, généralement, que cet A est une erreur de l’ouvrier tapissier, qui aurait dû mettre V, et il parait qu’on a pu lire, autrefois, quand la tapisserie était moins passée, les lettres I O H avant Lemaire, ce qui signifie Johannès Lemaire invenit, ou inventor. La conception de l’œuvre serait donc due à un certain Jehan Lemaire. Malheureusement, Jehan Lemaire, Flamand fort connu à cette époque, était un écrivain et un théologien, non un peintre. Il a peut-être donné le thème de ces tapisseries, mais non dessiné les cartons, auquel