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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/681

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chaîne de tapisserie de basse lisse, sa main gauche va passer la laine entre les fils, et sa droite tient le peigne, ou plutôt le couteau de bois qui la tassera. Derrière elle, une nichée d’anges ; devant elle, des prophètes : au-dessus d’elle, Dieu le Père, ne font que des gestes vagues d’admiration, d’adoration ou de bénédiction. Les licornes, dressées sur leurs pattes de derrière, ont une attitude aussi parlante que les deux prophètes ; les perroquets et les faucons sur le bord des fontaines jouent un rôle aussi précis que les anges : un rôle purement décoratif. La Légende dorée nous dit que la Vierge, élevée dans le Temple, « croissait tous les jours en sainteté, visitée par les anges et admise à la vision divine, qu’elle s’était imposé pour règle de rester en prière depuis le matin jusqu’à la troisième heure, et ensuite de la troisième à la neuvième, de tisser de la laine, après quoi elle se remettait en prière, jusqu’au moment où un ange venait lui apporter sa nourriture. » Nous le voyons ici, mais nous voyons surtout autre chose. Nous voyons une réunion d’objets précieux, une fête ordonnée pour le plaisir des yeux. L’artiste a supprimé le temple ou l’a réduit aux deux colonnes ornementales qui lui étaient nécessaires pour tendre sa tapisserie et pour supporter les armoiries inévitables de Monseigneur. Et, profitant de ce qu’un des emblèmes de la Vierge est l(ortus conclusus, au lieu de la mettre dans le Temple, il l’a mise dans un jardin. C’est le jardin selon le cœur du Moyen âge, le jardin d’Albert le Grand, de Jean de Garlande, du Roman de la Rose, bien clos, à l’abri des incursions du dehors, régulier, en contraste avec l’irrégularité de la nature, ordonné contre tout désordre, riche de tout ce qu’on connaissait alors de plantes, même exotiques. Enfin, de chaque emblème des Perfections de Marie, l’artiste a fait un motif décoratif : Fons hortorum est devenu le motif d’une fontaine précieusement ciselée ; Oliva speciosa, d’un grand arbre ; Turris David, d’un château fort ; Puteus aguarum vivencium, d’un puits ornemental ; Porta celi, d’un donjon. De lilium inter spinas, il a fait jaillir une touffe de lis, de Plantacio rose, une touffe de roses et, ainsi, chacune des perfections de la Vierge se trouve transposée en une beauté nouvelle dans le paysage.

A l’inverse, comme toute impression sensorielle se résout chez nous en un sentiment, même cette fantaisie purement pittoresque dépose dans le souvenir une impression morale. C’est celle d’une vie paisible, dans de beaux paysages. L’homme