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Gentz avait écouté le récit de Haugwitz sans l’interrompre un seul instant. Il répondit enfin que l’honneur que lui avait fait le Roi de l’appeler dans un moment aussi grave était fort inattendu, et que, pour s’en montrer digne, il lui fallait manifester son opinion avec toute la franchise possible. Haugwitz l’y engagea fortement et dit qu’il lui saurait mauvais gré, s’il ne parlait pas comme il pensait. Alors Gentz déclara que le roi de Prusse pouvait avoir eu de bonnes raisons pour ne pas s’engager dans la dernière guerre, après que la Russie et l’Autriche y avaient renoncé, mais que tout ce qui s’était fait ensuite l’avait affligé et dégoûté, lui, le défenseur de l’Autriche ; que le traité d’alliance, avec l’ennemi commun de tous les souverains, avait répugné à ses sentimens et à ses principes, et que, s’il avait eu lui-même à conseiller le roi de Prusse, il l’aurait conjuré de recourir aux armes plutôt que de partager l’injustice de l’oppresseur.

Haugwitz le remercia de sa franchise, mais, après lui avoir démontré la nécessité d’une politique commandée par les circonstances, il ajouta qu’il désirait savoir s’il ne parviendrait pas, lui Haugwitz, à déraciner le soupçon de mauvaise foi qui pesait sur le Cabinet de Berlin, dont on connaissait hautement la droiture et la pureté des intentions.

Gentz répliqua qu’il était incapable de se prononcer sur le jugement des Cours, mais que l’opinion du public pour le passé lui paraissait peu favorable à la Prusse. Toutefois, pour le moment, il fallait s’épargner la peine d’y penser. « Il suffit de vous voir armés avec le but avoué de mettre un terme à tant de malheurs, dit-il, pour que tous les cœurs soient à vous… L’Allemagne souffre ; la tyrannie qui l’oppresse est devenue insupportable ; l’usurpateur cruel qui l’exerce est exécré partout… Laissez donc là le passé ; montrez le présent sous une forme qui ne laisse aucun doute sur la justice de votre cause, sur la fermeté de vos résolutions, sur la sagesse de vos maximes…, éloignez absolument toute idée d’intérêt personnel, et j’ose répondre, non seulement de l’opinion, mais encore de la faveur et de la confiance générales. »

Haugwitz parut satisfait de cette réponse et s’expliqua alors sur le présent en ces termes : « Nous avons fait un armement bien dispendieux. Nous l’augmenterons encore de beaucoup…